J’ai mal entre le lundi matin et le vendredi soir, de 9h à 17h.

Cela fait un peu plus de deux mois que j’ai commencé mon stage. Et il se passe. Lentement.

Souffrance morale au travail

Qu’est-ce que la souffrance au travail ? Tu pourrais me répondre que c’est quand le caissier du supermarché se fait un tour de reins, ou quand le tourneur-fraiseur s’arrache un doigt. Non. Enfin, si mais pas que. Bien entendu, la médecine du travail est en charge de l’accident physique lié au travail. Mais la souffrance au travail est aussi morale. Elle peut être omniprésente et insoupçonnée.

Une souffrance omniprésente

Tu connais Bourdieu ? C’est un sociologue. Il décrit 4 capitaux fondamentaux : le capital économique, c’est l’ensemble des revenus et du patrimoine d’un individu. Le capital culturel mesure le savoir-faire et le niveau de culture institutionnalisée et reconnue dont dispose un individu. Le capital social indique le niveau d’interaction entre un individu et son milieu (on parle d’inter connaissance et d’inter reconnaissance) et le capital symbolique désigne toute forme de reconnaissance particulière au sein de la société. Pourquoi je te parle de ça ? La souffrance morale du travail s’attaque au 4 capitaux. Un à un.

Je m’explique. L’aspect économique est assez flagrant, je ne m’étends pas. Ton salaire est 20%1 plus bas que ton collègue parce que tu es une femme, ton salaire est de 436,05€ parce que tu es stagiaire, ton salaire est 5 fois plus bas2 que celui que ton collègue parce que c’est comme ça. Je ne te fais pas un dessin, d’une part c’est humiliant de penser que ton travail est 5 fois moins rétribué que celui de ton voisin, mais cela impliquera aussi une violence au quotidien. Quand tu partiras le week-end en Normandie, il partira deux semaines en Martinique. Quand tu auras du mal à mettre 20€ d’essence dans sa Clio, il n’en aura pas pour faire le plein de ta berline. Bref, cette violence se fait par l’inégalité du salaire.

La destruction de ton capital culturel par le travail est plus subtile. Tu connais la surqualification à l’embauche ? Tu connais forcément. Derrière ce nom barbare se cache le secrétaire qui parle 7 langues et qui colle des timbres, ou l’urbaniste qui fait des impressions et des comptes-rendus. Cette sous-utilisation des compétences produit un ennui, un sentiment de déresponsabilisation, d’inaccomplissement personnel, un mal-être. A cet ennui, on peut rajouter la peur du licenciement, les pressions hiérarchiques, les harcèlements, les burn-outs, produisant une perte de richesse intellectuelle et une docilité inévitable (et par conséquent une incapacité à la remise en question ou à la production de pensées subversibles). On assiste à une forme de totalitarisme moderne.

travail 1Notre système a pour conséquence immanente de détruire une partie de la composante sociale du travail. L’organisation du travail n’a pas pour but premier d’anéantir le dialogue entre les employés, pourtant, la mise en application des techniques de management (espacement des employés3, mise en compétition des services au sein de l’entreprise, évaluation individuelle des performances, prime, poste, mutation…), on assiste clairement certes, à une augmentation de la productivité, mais on voit surtout arriver l’isolement, la solitude, la perte du sol commun, ce que Hannah Arendt4 appelle la dé-sol-ation..

Le symbole du travail est fort. Notre société développe un culte à l’emploi. Le chômeur est vu comme improductif, comme le paria de notre monde occidental. Peu d’entre nous sont capables d’entendre « tu ne sers à rien ». Ce « tu ne sers à rien » peut apparaître de deux manières. Il peut naître au fond de soi-même, quand on commence à penser que classer l’ensemble des catalogues de fournisseurs par ordre alphabétique, « ça ne sert à rien ». Mais ce sentiment est aussi à l’origine de la stratégie managériale « du placard ». Plutôt que de licencier un employé, il est plus simple de maintenir son salaire et de l’écarter de toute tâche à effectuer. L’ennui et la symbolique du « tu ne sers à rien » étant tellement forts qu’ils ne peuvent que pousser l’employé à partir de lui-même.

Une souffrance involontaire 

Mais ne t’inquiète pas trop. Ce n’est pas le but du système de te faire souffrir. Non, bien au contraire, le système économique te veut épanoui dans ton état le plus productif. Les libéraux se moquent bien souvent du régime soviétique ayant eu comme sinistre projet de créer un « homme nouveau », un homme dévoué à sa patrie et sa production. Mais le système capitaliste qui nous entoure n’a pas d’autre but que de créer un homme nouveau, en entrant dans nos imaginaires collectifs, en remodelant de l’intérieur nos affects. L’homme nouveau doit perdre toute pensée subversive, se plier au désir du patronat, heureux de son sort salarial5. Le travail veut saisir l’employé par son corps et par son âme, redéfinissant à sa manière ce bon vieux concept d’épanouissement par le travail. Et si le travail est considéré comme le meilleur moyen de s’épanouir, il semble être de mauvais ton de le remettre en question. La doxa ambiante réduisant tout être se questionnant sur la nature du travail à un marginal néo-marxiste dégénéré.

Une souffrance obligatoire ?

Aujourd’hui, le monde du travail est tourné vers le profit et la réussite professionnelle  quel qu’en soit le prix. Tant pis pour l’exploitation de l’homme par l’homme, et la souffrance morale.

Il existe des entreprises qui fonctionnent sur d’autres modes, qui sont autogérées,  qui ont pour objectif le développement humain et non celui du capital (SCIC, SCOP…) 6. Il en existe très peu, et c’est aussi vrai que les hommes qui les font vivre et les portent, se ruinent la santé pour les faire (sur)vivre selon les obligations de rentabilité actuelles. Il existe aussi des humains qui expérimentent, par conviction, des modes de vie sans travail salarié, en construisant leur vie autrement. 7

Est-ce qu’on a tout résolu ? Est-ce qu’il ne reste plus rien à remettre en cause après ça ? Bien sûr que si. Ce ne sont que des laboratoires d’alternatives, mais ils donnent des pistes quant aux champs des possibles, aux constructions à expérimenter, et aux destructions à mettre en œuvre.

Sources:

1 – www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATTEF04154

2 – www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1150&reg_id=0

3 – Hannah Arendt est une philosophe allemande qui a décrit les mécanismes du totalitarisme nazi et stalinien. Elle explique dans ses ouvrages la « chaîne » de l’horreur, comment en découpant une tâche, l’homme est capable de se poser des œillères et de se dociliser pour effectuer un travail. Elle crée le concept de dé-sol-ation, et montre que la perte de repère commun, de dialogue, ne peut entrainer que la perte de regard critique.

4- Transformation managériales à la RATP, Le monde diplomatique Novembre 2014,

5- https://www.youtube.com/watch?v=jn5i2E5zXUM : « Capitalisme, désir et servitude »

6- Société Coopérative d’Interet Collectif & Société COopérative et Participative

7- Film « rien à foutre al païs » de Pierre Carles

 

Tract version mise en page .doc: Tract 52 souffrance au travail

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Forêt de Compiègne, gestion ou destruction durable?

Nos chers arbres, nos chers amis découpés de la forêt de Compiègne… Le coût fatal que nous infligeons à dame Nature est ironiquement contradictoire au capitalisme vert1. Pour fournir les quantités nécessaires de grumes (ces gros bois qui permettront plus tard de fabriquer des meubles et des poutres de maisons), nous devons sans cesse couper plus de bois.

Un développement engendre bien souvent une destruction quelque part. Le précédent contrat d’objectifs et de performances de 2007-2011 établit entre l’Etat et l’ONF et sommant à l’Office National des Forêts une hausse de la productivité de ces activités a conduit à la destruction de près de 500 emplois temps pleins (ETP) de 2009 à 2012 (parmi son effectif de 10 000 ETP)2. Pour être autonome et financer ces retraites, ne touchant aucune subvention de l’Etat, elle doit accroître sa production de bois qui est sa seule source de revenus. Les recettes de l’ONF sont principalement constituées des ventes de bois des forêts domaniales3.

prepare la relevePour subvenir à ses besoins l’ONF doit ainsi prélever davantage dans le milieu naturel. Ces vingt dernières années il a été exporté plus de volume de bois que la forêt n’en produit naturellement. Les médias disent que les forêts françaises ne sont pas assez exploitées, qu’il y a de plus en plus de surfaces boisées et nous incitent à consommer du bois. Cher-chères lecteurs-lectrices, ceci est une idée reçue ! Il n’y a guère que les massifs montagneux qui gagnent du terrain. Avec la déprise agricole4 dans les montagnes et sur les grands Causses du centre de la France, les forêts de conifères grignotent inexorablement du terrain sur les anciens pâturages de basses montagnes, les plateaux calcaires et les estives. Les forêts de montagnes sont peu exploitées (car trop difficiles d’accès). Pour rester rentable l’ONF doit taper davantage sur les forêts de plaines.

Les esprits de la forêt de Compiègne, les lutins et autres farfadets n’ont qu’à bien se tenir car le menu des vingt prochaines années n’est guère réjouissant. Au programme un théâtre de désolation, où à coup de machines on ouvre un cimetière géant pour les insectes. Les UV atteignent directement le sol, les engins de plusieurs tonnes le tassent et asphyxient de nombreuses formes de vie. Le milieu sera alors transformé en un autre moins riche et moins propre au milieu forestier. A terme, la dégradation du sol engendrera des pertes de la productivité (les arbres poussent plus rapidement et sont en meilleure santé dans un sol riche et habité d’insectes et de microorganismes).

Par ailleurs, lorsque l’ONF coupe du bois, il le laisse sur place pendant deux à trois mois avant de le transporter à la scierie. Pendant cette période, les grumes dégagent de bonnes odeurs qui sonnent l’appétit des insectes xylophages qui vivent et se nourrissent du bois. Certaines espèces profitent de l’occasion pour pondre. En effet le développement de certaines larves dure quelques années, il leur faut donc des gros bois vieillissants. Malheureusement, les œufs d’espèces protégées au niveau européen (comme le Lucarne cerf-volant ou le Grand Capricorne) sont embarqués à la scierie et les pondeurs n’auront aucune descendance. C’est probablement l’une des causes5 de la diminution d’oiseaux et de chauves-souris en forêt de Compiègne, la perte de biodiversité étant directement corrélée avec la diminution de bois mort.

massacre à la tronçonneuseA vouloir toujours produire plus, les forêts domaniales de Compiègne, Laigue et Ourscamp courent un grand risque. A terme, par la perte de biodiversité et la diminution d’arbres à cavités, la forêt risque de perdre son statut de forêt d’exception (que l’ONF s’est auto-attribué en 2013) et sa zone Natura 2000 (protection des habitats écologiques, de la faune et de la flore sauvage au niveau européen). Aujourd’hui la réserve naturelle des Beaux Monts et celle des Grands Monts en cours de réalisation permettront de protéger 230ha. Autrement dit une bouchée de pain sur les 19 000ha que compte le massif Compiégnois.

Tous responsables 

Nous allons au supermarché acheter un meuble soit disant moderne aggloméré-mélaminé mais hélas trois mois plus tard nous le trouvons dépassé et il s’effrite de partout. Avec des meubles en bois massif pas forcément plus chers, vous pouvez relooker votre mobilier à souhait et à l’infini de manière durable. Par ailleurs, pensez-vous que Dame nature se protège de la mondialisation ? Et bien le pire est à venir, puisque la grande majorité des grumes française partent en Chine, là où nous fabriquons nos meubles. Bilan Carbonne zéro ! Et oui ! Car si notre pays a diminué ses émissions de gaz à effet de serre (GES) c’est grâce aux délocalisations. Par exemple, le cuir d’une chaussure sur sept commercialisée en France provient d’Amazonie (dont la production de bovins est la première cause de déforestation). Si l’on prend en compte toutes les externalités négatives comme les rejets de GES émis par la déforestation pour la mise en cultures ou l’accroissement du transport pour leur acheminement (1% par an) et que l’on cumulait toutes les empruntes carbones de nos productions, on constaterait que nos GES augmentent d’année en année.

Ce discours diffusé par les médias permet de rassurer la population et d’entretenir la consommation. Quelques rustines sont ajoutées à ce bricolage et le système capitaliste maintient notre société bancale du haut de ces échasses et apaise les conflits à coup de labels et de normes.

plantes et villes

La baisse des coûts d’exploitation, la marchandisation de la nature, le système de production et de consommation (viande, monocultures intensives, mobiliers…) sont un fléau pour les forêts dans toutes les régions du globe.

 

1 Système économique capitaliste (fondé sur la recherche de croissance et l’accumulation de richesses) se présentant comme respectueux de l’environnement et du renouvellement de ses ressources.

2 Source : Rapport particulier de la Cour des Comptes (juin 2014) – ONF – exercices 2009 à 2012 RB 70546 (p34)

3 Domaine privé de l’Etat géré par l’ONF.

4 Le recul de l’activité agricole dans les campagnes reculées. Les massifs montagneux du centre de la France sont remplacés par une forêt de conifères suite au phénomène d’intensification et de spécialisation régionale de l’agriculture dans les plaines et plateaux. La déprise est responsable de l’exode rural et est une conséquence de la Politique Agricole Commune du XXe siècle qui permit à de nombreux agriculteurs de produire en quantité et de baisser les coûts de production. Cette politique, couplée à la production de masse a conduit à la mort des petites exploitations.

5Les causses sont des plateaux karstique (calcaire) fortement érodé caractéristiques des auréoles sédimentaires du Sud et de l’Ouest de du Massif Central.

 

Tract téléchargeable: word:Tract 51 escargot Forêt de Compiègne

pdf:Tract 51 escargot Forêt de Compiègne

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RIEN NE DOIT PLUS ARRIVER

Violences « urbaines »

Qu’est-ce que la violence dite « urbaine » ? Comment cette violence est-elle ethnicisée? Comment est-elle traitée par les urbanistes et architectes ?

Comment finissons-nous par participer implicitement ou explicitement à cette stigmatisation de cette violence ?

 

Ethnicisation des violences « urbaines »

« Big Brother veille sur les uns et surveille les autres! » – Jean Pierre Garnier.

Bien souvent, la ville et l’urbanisme modernes sont considérés comme des causes de désorganisation sociale. Les « grands ensembles » (ensemble de logements collectifs, souvent en nombre important (100 à 1000) qu’on trouve en périphérie des villes, en « banlieues ») en seraient l’expression la plus achevée, étant assimilés à des lieux de relâche du lien social, d’anonymat, d’isolement, de défaut d’intégration, bref d’anomie, conduisant ainsi à une perte généralisée de repères et à une « désocialisation » régressive propice à la déviance.

La Direction Centrale des Renseignements Généraux (DCRG) entend par violences « urbaines » tous les actes de remise en cause ouverte et provocatrice de l’ordre et des institutions, commis le plus souvent en réunion par des jeunes des « quartiers sensibles » (Lucienne Bui-Trong, Ancienne chef de la section villes et banlieues des renseignements généraux)

La dimension urbaine recouvre alors une dimension territoriale spécifique, celle des « quartiers sensibles » ou « banlieues », c’est-à-dire accumulant un certain nombre d’indicateurs de « difficultés » sociales, économiques et délinquantes.

Parmi les facteurs de risque, la DCRG précise que les seuls critères socio-économiques ne suffisent pas à rendre compte des variations des violences « urbaines ». Outre la classe d’âge, il faut également tenir compte du sexe et de l’origine ethnique des jeunes de ces quartiers (« Des jeunes mal intégrés à l’école ou vivant une situation familiale précaire auront tendance à attribuer leur situation, lorsque leurs parents sont immigrés, à une attitude de rejet de la société de nature raciste, ce qui aggrave leur rancœur », DCRG).

L’implicite de l’expression française « violence urbaine » est donc le suivant : sont ainsi désignées des conduites violentes collectives de jeunes de sexe masculin, souvent issus de l’immigration et vivant dans des quartiers populaires périphériques (les « banlieues ») ; ces conduites présentant des dimensions à la fois inciviles, délinquantes et anti institutionnelles.

L’usage du terme « violence urbaine » pour qualifier certaines formes de violence masque les rapports sociaux et culturels de domination (violences infligées aux couches populaires dans une société de plus en plus inégalitaire) dont le territoire urbain est la scène plutôt que la cause.

Seules seront retenues des violences que l’on qualifiera d’ »urbaines » sous prétexte que les phénomènes désignés prennent le plus souvent place en ville.

Traitement des violences « urbaines » par l’urbain.

« Faire de l’urbanisme, c’est comme jouer au lego avec ceux qui n’en ont pas ».

Les collectivités font donc appel à des ingénieurs, urbanistes et architectes, ayant une formation et des modes d’actions qui ne concernent que le traitement des espaces (construction, transport, voies, conception, aménagement, et positionnement des différents éléments) pour résoudre ces violences. Même si certains urbanistes utilisent, et théorisent l’urbain avec de la sociologie, les conclusions et agissements sont spatiaux.

La prévention situationnelle (ou prévention urbaine) permettrait d’aménager l’espace pour prévenir les risques d’insécurité. Les villes se réduisent alors à des lieux de contrôle et de surveillance. La prévention situationnelle dispose de deux moyens d’actions :

Le spatialisme postule un rapport causal direct entre formes spatiales et pratiques sociales, ce qui permet de transformer des problèmes propres à un certain type de société en problèmes dus à un certain type d’espace. 

Il en découle que les solutions sont, elles aussi, spatiales, c’est-à-dire architecturales et urbanistiques : « Banlieues 89 » sous François Mitterrand, « Loi relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbain » (SRU) sous Lionel Jospin et « Programme National de Rénovation Urbain » (PNRU) annoncé par Jean-Louis Borloo…

Aussi l’intervention sur le bâti prend-elle un tour de plus en plus disciplinaire avec la mise en œuvre d’une architecture de « prévention situationnelle ». Elle vise à « aménager les lieux pour prévenir le crime », c’est-à-dire à les sécuriser. Le spatialisme atteindra son apogée avec la destruction systématique des tours et des barres, « terreau de l’insécurité, de l’incivisme et du repli sur soi ».

Complément du spatialisme, le localisme s’attache à une gestion locale des problèmes sociaux et tait leur dimension globale. Il consiste à formuler, étudier et traiter les problèmes là où ils se manifestent. Placé sous le signe de la « proximité, ce traitement « au plus près de la population », ne s’en tient qu’aux facteurs et aux solutions qui sont « à portée de la main ». Ces causes locales auraient pour vertu de rassembler (« la lutte contre l’insécurité urbaine est l’affaire de tous les citadins ») – au lieu de diviser. 

Ainsi le « droit à la sécurité » sera-t-il mis en avant pour faire oublier le démantèlement continu des droits sociaux  Il est vrai qu’il est plus facile de « lutter contre la violence urbaine » que de poursuivre le combat contre les inégalités.

Cette propagande de l’insécurité et  de la peur sert aussi à légitimer la mise en place de caméra de vidéosurveillance ainsi qu’une conception pan-policière (où chaque citoyen a de la graine de flic) de la « gouvernance urbaine ». « L’implication citoyenne » des habitants, c’est-à-dire leur collaboration avec les forces de l’ordre, fonctionnera comme alibi. Ainsi, on retrouve dans de plus en plus de « quartiers à risques », des panneaux « voisins vigilants » qui annoncent que les habitants sont en lien direct avec la police municipale et qu’ils n’hésiteront pas à faire appel à elle en cas de débordements ou de comportements jugés suspects, c’est-à-dire par exemple, la présence de jeunes de sexe masculin, issus de l’immigration.

voisins vigilantsAutre exemple : A Lille, Lyon et Paris, constituées en milices, les meutes de Génération Identitaire, l’extrême-droite volet djeun’s, exécutent des descentes « anti-racaille » dans le métro : « Nous allons emprunter une ligne de bout en bout et nous arrêter à chaque station », détaille Damien Rieu, porte-parole du mouvement. « Si quelque chose se passe on intervient. »

La boucle – celle de la méfiance de l’autre, de la préservation « physique » des classes et de l’exclusion – est ainsi bouclée et nous sommes entrés dedans sans même nous en rendre compte…

Mais alors, existe-t-il une violence propre à l’urbain ? Ou bien urbanise-t-on une problématique sociale?

En « spatialisant » des questions socio-économiques plus globales – telles les inégalités face à l’accès à l’emploi, à l’éducation, au logement, les violences, le racisme ou l’exclusion – on exerce une violence sur des minorités déjà opprimées. La violence engendre la violence. Cette dernière, la violence « urbaine », est ensuite largement médiatisée (« des voitures ont encore brulé dans telle banlieue ! »). Ce qui effraie les « bons citoyens » qui demandent, de fait, qu’on les protège de telle ou telle population… La stigmatisation est donc plus forte et les solutions trouvées pour lutter contre l’insécurité plus drastiques (vidéo-surveillance, ultrason anti-jeunes -pas jeunes cadres dynamiques bien sûr-, police de proximité, implication citoyenne …).

Beau cercle vicieux, au sein duquel l’aménagement « sécuritaire » du territoire joue un rôle bien dérangeant …

l'urbanisme a coup de karcher

Sources:

1 – Infokiosque : « Désurbanisme », « Urbaniser pour dépolitiser »

2 – Copyleft : « Le mythe de l’insécurité »

3 – Eric Macé : « Les violences dites « urbaines » et la ville »

 

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Et pourquoi meurt-on pour des fleurs aujourd’hui ?

En hommage à Rémi Fraisse

 

Rémi avait 21 ans. Rémi était étudiant, il était responsable de la préservation dans la zone de Sivens de la renoncule, une petite fleur jaune. Il protégeait la zone, il se battait avec d’autres contre la construction du barrage qui noierait la zone protégée pour un projet d’irrigation surdimensionné et inutile.

Encore des millions, et pour planter du maïs qui n’aurait rien à faire dans une région aussi sèche que le Tarn. Rémi se battait pour sa fleur et pour ses idées. Il est mort, ce dimanche, à une heure du matin, d’une grenade offensive dans le dos. Il y avait eu des affrontements avec la police, du bruit, il était venu voir ce qui se passait. C’était un pacifiste.

Rémi est mort, pas par héroïsme, pas parce que c’était utile, il est mort parce qu’un policier s’est affolé, ou parce qu’un policier violent, en avait marre, et avait une grenade, ou encore parce qu’avec 400 grenades envoyées dans la nuit, cette issue était probable. Rémi maintenant est mort, pour sa renoncule.

Et pourquoi meurt-on pour des fleurs aujourd’hui ? Peut-être parce que certains vivent pour des billets. Parce que certains n’ont plus en vue ce qu’il y a de plus précieux, de la terre, de l’eau, des gens.

Si la violence est née à Sivens, s’il y a eu de la peur, que des policiers ont frappé, que d’autres ont riposté, qu’ils ont frappé plus fort, qu’ils y ont tué, c’est parce que la tension est trop forte.

La tension entre les idées qu’on veut défendre, d’une démocratie de ce qui est bon pour le peuple et par le peuple, et la démocratie comme elle se fait appeler aujourd’hui, plutôt un souverain bordel, où ce qui est légal n’est plus légitime, ce qui est légitime n’est plus légal.

Alors oui il y a eu des tensions, et oui il y en aura, parce que l’on fait des barrages là où on n’en veut pas, on construit des aéroports quand on n’en a pas besoin, on détruit la montagne, on brûle la forêt. On détruit en écolo, on s’indigne en humain, on manifeste en militant, on s’installe en altermondialiste, on s’insurge en anarchiste. Quand on n’en peut plus, qu’on n’a rien à perdre d’autre que ses idées, on les vit comme on peut.

Chacun sa manière, on déconstruit ou construit à sa façon, le monde qu’on veut et celui qu’on ne veut plus.

Mais quand on est mort, il n’y a plus de petites cases, on ne peut plus dire il était ci il était ça. On s’en fout. Ce qui compte c’est qu’on ne soit pas mort pour rien, que le monde soit un peu mieux après nous.

Alors, par pitié qu’après Rémi on s’écoute, on se respecte. Qu’on ne puisse pas mourir parce qu’on défend une renoncule.

En attendant, dors bien Rémi. Rimbaud t’aurait sûrement dédicacé son poème.

Le Dormeur du val

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

(Arthur Rimbaud, Le Dormeur du val, octobre 1870)

 

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Version PDF: tract 49 Hommage à Rémi Fraisse

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Tous les préjugés mènent aux Rroms

Un petit tract contre toute création de bouc émissaire de la république. Parce que les rroms subissent des discriminations à la fois de la population qui les exclue, et des institutions qui les illégalisent.

 L’étiquetage, première étape de la discrimination 

Exprimer par les mots, c’est catégoriser. C’est une obligation linguistique. Cette catégorisation est éminemment sociale, catégorisation qui pointe l’existence d’un fait : être un homme/une femme, un français/un étranger, un blanc, un blond, un porteur de gros doigts de pied, un bourgeois, un homosexuel, un rrom,… Socialement certaines catégories auront rarement une existence, d’autres constitueront une importance significative dans la désignation d’un individu, voir constitueront un clivage initial. Pour le langage français, savoir le genre de celui que tu désignes est obligatoire pour pouvoir le désigner à la 3ème personne.

La catégorisation est rendue néfaste en soi pour les rroms :

– « Rroms », « nomades », « gens du voyage », « bohémiens », « tsiganes », « manouches », etc sont souvent utilisés par des individus ne connaissant personne de ces populations. Certains se voulant connaisseurs plus fin que d’autres vont nous expliquer concrètement la différence entre ces termes tout en gardant une catégorie essentialiste.

-Elle est discriminante quand utilisée de manière essentialiste, c’est-à-dire qu’elle constitue en elle-même l’identité de l’individu. Celui-ci ne peut plus s’échapper de cette structure sociale qu’on lui a attribuée, et ce, que cette structure soit positive (« c’est un rrom, j’aime bien leur musique »), ou négative (« c’est un voleur de poule », « ils dégueulassent tout en partant »). Les justificatifs utilisés sont basés sur une ethno-différence.

-Qui plus est, on n’a plus un individu de « nationalité rrom », ou des « individus ayant des habitudes nomades », mais ils sont juste des « rroms », des « gens du voyage ». Le deuxième terme est d’autant plus intéressant qu’il ne peut être mis au singulier, cela ne peut être qu’une masse. Cette désignation les constitue, c’est dans le contexte une catégorie qui passe avant le statut «femme », « jeune », que les non-rroms auraient pu bénéficier. La catégorisation détruit toute possibilité d’individualité

Préjugés et amalgames anti-rroms :

                 Un flou immense tourne autour des « rroms » dans l’opinion dominante, alors que la population française semble tous connaitre le rrom, médias obligent. On va leur attribuer librement la qualité de « gens du voyage » alors que 90% des rroms sont sédentaires en Europe[1].

Le PEROU fit la remarque : « Selon les chiffres du Conseil de l’Europe, 500 000 Rroms vivent sur le territoire français. Selon les chiffres des préfectures réunies, 17 000 personnes vivent dans des bidonvilles en France. Selon les constats que nous faisons au quotidien, des personnes non Rrom vivent dans les bidonvilles de France. Selon les constats que nous faisons au quotidien, ce sont ces 17 000 personnes qui sont quotidiennement visées par paroles et actes de violence contraires aux principes de la République comme de l’Union Européenne, et non les 483 000 Rroms non recensés par les préfectures sus évoquées ».[2]

 « […] de faire preuve d’une fermeté absolue dans la lutte contre l’immigration illégale. La règle générale est claire: les clandestins doivent être reconduits dans leur pays.

Et c’est dans cet esprit d’ailleurs que j’ai demandé au ministre de l’Intérieur de mettre un terme aux implantations sauvages de campements de Rroms. Ce sont des zones de non-droit qu’on ne peut pas tolérer en France. Il ne s’agit pas de stigmatiser les Rroms, en aucun cas. »

Nicolas Sarkozy, discours de Grenoble, 2010.

ailleurs commence ici

« Les Rroms ont toujours été considérés comme des immigrés, immigrés dont la provenance reste généralement ignorée. Cette méconnaissance volontairement entretenue cloisonne les Rroms dans le rôle d’éternels étrangers » [3]

On associe aussi Rroms à l’Europe de l’est, aux Roumains, aux bulgares. Les organisations rromanis (comme l’URI) revendiquent une Nation (« communauté humaine qui possède une unité historique, linguistique et économique plus ou moins forte ») sans territoire. Les ministères de l’ordre de tous les pays leur cherchent un pays d’origine pour pouvoir les exclure. Ceux-ci deviennent des immigrés illégaux partout où ils iront vivre, et les pays de l’Europe de l’Est auxquels on leur attribue une soi-disant origine sont ceux qui ont les pratiques les plus excluantes de ces populations.

 Des siècles d’exclusion:

                Un anti-rromisme institutionnel s’est renforcé à partir de l’époque moderne afin de maintenir un contrôle social. Prenant beaucoup de formes différentes, les méthodes d’acharnement contre une partie de la population seront toujours virulentes[4]. Cette discrimination institutionnelle est directement inscrite dans la législation, même si elle hésite à nommer directement en utilisant d’autres termes selon les époques : « nomades », « bohémiens », « gens du voyage ». Cela reste bien une ethnie qui est visée, ils ne reculent en effet pas face aux contradictions : le recensement de 1960 des gens du voyage recense 3 catégories ; les gens du voyage itinérant (70000), semi-sédentaire (70000) et … sédentaire (110000).

3 stratégies principales sont utilisées pour le contrôle social:

– L’  « intégration » contrôlée, par l’hébergement ou la proposition de lieux légaux. Ces lieux sont souvent mal placés, parfois dangereux (près des bretelles d’autoroute,…) et rend effectif l’interdiction d’installation sur un autre lieu illégal.

perou1 perou 2

1ère photo: Campement légal à Ris Orangis, construit par la collectivité suite à l’expulsion d’un bidonville

2nde photo: Campement illégal à Grigny

58 : pourcentage des demandes d’hébergements insatisfaites,

dont 74% pour manque de places disponibles.[5]

-L’expulsion pure et simple

« Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres, qui sont évidemment en confrontation […] Et donc cela veut bien dire que les Rroms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie. » Discours de Manuel Valls au sujet des rroms, le 24 septembre 2013.

-La désintégration, l’exclusion et l’illégalisation de leur lieu de vie

-394 : nombre de bidonvilles en France en 2013 (source : DIHAL)
– 81 : dans les bidonvilles en France, pourcentage de mineurs ne bénéficiant pas de couverture maladie (source : CNDH, Rromeurope)

– 80 : dans les bidonvilles en France, pourcentage d’enfants entre 6 et 16 ans non scolarisés (source : MDM)

 L’importance du stigmate[6] dans notre société :

« Tout discours antirrom implique une dépréciation, voire un mépris systématique, et par là-même, un sentiment de supériorité de celui qui le tient, mais, contrairement à l’antisémite, le but n’ e s t pas tant d’affirmer appartenir à une élite que de se sentir conforme à une norme sociale même si celle-ci n’est pas toujours très bien vécue. Le «Ils ne sont pas comme nous » implique une cohésion voire une solidarité du «nous » comme corps social. Parallèlement la saleté ou le désordre imputé aux Rroms rassurent sur ses propres conditions de vie. La stigmatisation du plus pauvre ou de celui considéré comme marginal réconforte quant à sa propre place dans l’échelle sociale. »[7]

 

Tract à télécharger mis en page: version modifiable Tract 47 VF anti-Rromisme

Version PDF Tract 47 anti-Rromisme

 

[1] Xavier Rothéa, France, pays des droits des Roms ? Gitans, «Bohémiens», «gens du voyage», Tsiganes… face aux pouvoirs publics depuis le 19e siècle

[2] Jeudi 24 avril 2014 Appels, à faire tourner, sur le site internet du PEROU : http://perou-risorangis.blogspot.fr/

[3] Xavier Rothéa, France, pays des droits des Roms ? Gitans, «Bohémiens», «gens du voyage», Tsiganes… face aux pouvoirs publics depuis le 19e siècle

[4] Se référer au développement de Xavier Rothéa, France, pays des droits des Roms ? Gitans, «Bohémiens», «gens du voyage», Tsiganes… face aux pouvoirs publics depuis le 19e siècle, pp 30-31. Les informations du reste du paragraphe proviennent du même livre.

[5] lundi 31 mars 2014 Le dérèglement climatique sur le site du PEROU

[6] Un individu stigmatisé « se définit comme n’étant en rien différent d’un quelconque être humain, alors même qu’il se conçoit (et que les autres le définissent) comme quelqu’un à part. » Wikipédia sur Erving Goffman

[7] Xavier Rothéa, France, pays des droits des Roms ? Gitans, «Bohémiens», «gens du voyage», Tsiganes… face aux pouvoirs publics depuis le 19e siècle

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Totalitarisme mathématique

Ce petit texte fait suite d’une visite du salon de l’IBS (Intelligent Building System) qui s’est déroulé à Paris. Ce salon se veut être une plateforme de rencontre dédiée aux systèmes intelligents pour la performance des bâtiments, autrement dit la domotique. L’ambiance est donnée dès la première page du site web : « La question n’est plus de savoir « Combien ça coûte ? » mais… « Combien ça rapporte ? » »[1]

L’alibi de la réduction de l’impact écologique comme production de capital

Pendant toute la durée du salon, un des principaux arguments (avec celui du confort) en faveur de la domotique concerne la réduction des consommations du bâtiment. Pourtant, ces calculs d’économies d’énergies se focalisent uniquement sur les consommations électriques ou de chauffage sans tenir compte des consommations de l’équipement électrique ajouté (détecteurs, automates…), et encore moins de leur mode de production et des matériaux de fabrication. Alors comment comparer cette réduction des consommations et l’augmentation de l’utilisation de matériaux rares de fabrication ? Plus simplement, il serait aussi efficace de réfléchir sur le bâtiment en lui-même et sur nos modes de vies au sein de celui-ci (pourquoi chaque habitation comporte son propre lave linge ?).

toi aussi participe au développement durable

Les intervenants du salon de l’IBS écartent toutes existences d’inégalités entre les classes sociales, et donc d’accès aux nouvelles technologies. Loger en appartement HLM n’apporte pas les mêmes problématiques de consommation qu’habiter une maison luxueuse (écologique ou non). L’alibi écologique dont se sert la domotique est ainsi une justification supplémentaire pour ne pas remettre en cause notre mode de vie.

Nous vivons dans un système capitaliste qui a pour base la croissance économique. La technique en elle-même n’est ni bonne ni mauvaise, il faut juste analyser son utilisation réelle au sein de ce système. En démocratisant la domotique, d’ailleurs prévue principalement pour les riches, nous nous créons de nouveaux besoins donc de nouvelles consommations, contrecarrant la baisse de la consommation engendrée par la technologie. Pour reprendre les termes d’un conférencier : « En domotique, les systèmes de sécurité génèrent énormément d’opportunités » (= de capital). Cette phrase est révélatrice quant-à l’intention, non pas d’avoir une activité écologiquement ou socialement bénéfique, mais de profiter d’un nouveau marché dans un objectif de profit.

Société contrôlée, société libérée ?

La technologie, telle que conçue par la domotique, favorise un fort contrôle social de par son influence sur nos actions. La technique pensée en amont par des experts nous dépossède de toute réflexion sur notre confort et nos activités. Plus l’environnement humain est technique, moins sa capacité à comprendre et à maitriser ce qui l’entoure est importante. Le contrôle et la standardisation du confort impose un certain mode de vie à partir de normes définies à l’avance.

La domotique nous dictera donc ce qui est confortable pour nous. Si aujourd’hui nous modelons nos besoins à coup de propagande venant de divers horizons (publicité, médias, école…), demain la domotique nous énoncera nos besoins. A l’image du frigo intelligent qui passera commande au supermarché pour nous, la domotique veut externaliser notre pensée et rendre la société de la consommation accessible sans aucune démarche personnelle (plus besoin de faire ses courses, les Pom-Potes arrivent déjà par paquets de 8).

Mais non, la domotique n’est pas que de la normalisation me direz-vous, la preuve est qu’elle veut s’adapter à chaque individu ! C’est en tout cas ce que le titre d’une autre conférence voulait nous dire : « La clé pour maitriser le facteur humain c’est l’individualisation ». Mais cette « individualisation » a en fait pour but final d’estimer la marge de liberté individuelle dans ce système normatif pour mieux la contrôler et ainsi limiter le nombre d’individus s’échappant de ce système. Même sous cet angle, la domotique poursuivra la dynamique actuelle de création de besoins qu’elle marchandisera ensuite, réduisant notre individualité à des données statistiques et normatives.

Pour revenir au salon, voici les dires d’un autre conférencier : « Cette application, reliée à la domotique, permet de savoir en temps réel quelle salle de réunion est disponible mais aussi le parcours exacte pour s’y rendre ». Là, c’est le summum de l’absurdité et du délire technocrate. Encore une fois, on nous infantilise et on nous dépossède de nos capacités intellectuelles en cassant nos marges de libertés par la prédiction à outrance. De plus, elle est potentiellement dangereuse : cette technologie accompagnée de ses diverses caméras et capteurs permettrait de connaître en temps réel qui occupe son poste ou non, de contrôler le temps que les employé.e.s passent à leur bureau… Encore un nouveau moyen de renforcer la domination de l’employeur.

 

« Votre confort ? Notre priorité ! »

confort bourgeoisconfort bourgeois automatisé

Confort Précaire banaliséconfort prolétaire

Aussi, la technologie fait partie des instruments qui nous influencent dans notre façon de penser et de ressentir le monde. Si nous vivons dans la peur de notre voisin, ce n’est pas parce qu’il est pire que celui du siècle dernier, mais parce qu’une méfiance s’est construite à travers le spectacle publicitaire et social.

 

« La sécurité doit-être fille de la liberté, et non l’inverse ». Tommy, AG du Genepi 2014

 

La dépossession de nos vies par l’expert (nous, futurs ingénieurs)

La domotique fait partie des technologies qui imposent de faire appel à tout un tas d’experts et de spécialistes. Chacun est expert dans son domaine : nous déléguons ainsi toutes les décisions qui sont externes à nos spécialisations, qu’elles soient importantes ou non, réduisant par cela nos possibilités de se réapproprier et d’aménager nos propres lieux de vie ou de travail.

 

Evidemment, cette critique de la domotique est indissociable de réflexions plus globales à propos de nos choix de société : répartition des pouvoirs de décisions, consumérisme… Nous n’avons que le choix individuel de consommer ou non un produit, devant le fait accompli de son déploiement dans la société. Notre seule liberté est de se mettre à la traîne du progrès, mais en subissant tout de même les contrecoups et dangers. A aucun moment nous n’avons de choix collectif pour décider de ce qui est désirable ou non pour la société dans son ensemble, et non pour un individu ou un groupe d’individus donnés. Plus la technologie est élevée, complexe et centralisée, moins le choix est social et libre.

 

Pour autant, doit-on abandonner toutes recherches d’amélioration technique ? Pas si celle-ci se place d’abord dans une recherche de transformation sociale.

[1] http://www.ibs-event.com/

 

Tract téléchargeable mis en page : version modifiable Tract 48 Totalitarisme mathématique VF

Version PDF: Tract 48 Totalitarisme mathématique

 

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Gratuité des transports en commun pour touTEs !

Meilleure mesure anti-fraude

Les prix des transports en commun sont en constante augmentation. En parallèle on stigmatise le « fraudeur », qui serait responsable de cette montée des prix.

gratuité des transports

Repenser le transport aujourd’hui

Les infrastructures liées au transport sont conçues par le haut. Celles-ci ont une influence importante dans le mode de déplacement de la population. Cette conception n’échappe pas aux rapports de force moderne et pose de nombreuses questions :

  • Transport de classe sociale. L’accès aux transports est inégal. Nous produisons de plus en plus de TGV au détriment de petites lignes de train. Tout le monde ne peut pas s’offrir ces transports. En fonction de notre origine sociale, nous n’avons pas le même champ de choix possibles pour se transporter[1].
  • Pas de démocratie, manque de liberté dans les choix des transports. Si des pseudo-concertations sont organisées dans les villes, elles concernent toujours des projets ficelés avec peu de marge de liberté, si ce n’est déplacer 2-3 arrêts de bus ou rajouter des panneaux solaires sur l’aéroport qui est déjà en construction.
  • Choix d’un transport individualiste. L’Etat choisit de financer le tout-automobile : 15 milliards d’euros sont dépensés chaque année pour la voiture contre 1,5 milliard pour les transports publics.[2]
  • Choix d’un transport polluant et détruisant les zones agricoles et naturelles: le transport représente 26% de la production de gaz à effets de serre en France. Pour des transports de riche, on fait des aéroports sur des zones agricoles, les lignes à grande vitesse exigent un terrain droit, s’il y a une montagne un trou est fait dedans ; s’il y a des nappes phréatiques à polluer tant pis.[3]
  • Transport pour le capital. La plupart de nos activités, donc de nos déplacements, ont pour vocation de produire ou de consommer (aller au travail, faire les courses…).acces payant a l espace pieton urbain

Les transports collectifs sont quasiment le seul mode de déplacement payant, titre une étude de l’ADEME[4] :

analyse ADEME

On n’attaque pas la gratuité des transports pour les automobiles, par contre il semble acquis qu’il est obligatoire de payer les transports en commun. A tel point que nous créons artificiellement le paiement : « la vente des tickets n’est à la RATP qu’une recette mineure : 22% du budget. Cette somme rembourse à peine la fabrication des billets, l’entretien des machines à composter, les contrôles… »[5]

Autre particularité du transport en commun le fichage de plus en plus systématique de la population. Au nom du plan Vigipirate, le pass Navigo possède une puce RFID gardant trace de tous les déplacements de son propriétaire au détriment du droit des usagers à se mouvoir anonymement.

                 L’arsenal répressif pour imposer les transports payants se développe : toujours plus de contrôleurs, de caméras, création du délit de fraude. Il a pour conséquence de créer un climat de violence sociale :

  • Une violence institutionnalisée, la peur au ventre pour le fraudeur. « Quand une personne est descendue du bus ou du train par les contrôleurs, personne ne parle de violence : cette violence sociale est invisible puisque intégrée au capitalisme (pas d’argent = pas de droit). En l’absence de réponse offensive du corps social, cet apartheid social progresse. »[6]
  • Une violence réactive à ce pouvoir répressif : 80% des agressions en métro ont lieux lors des contrôles [7]. Si, selon les détracteurs de la gratuité, cette dernière serait source de vandalisme, le service marchand est une source de violence physique.

La gratuité est une mesure essentielle pour s’ouvrir aux mots d’ordre suivants : liberté de circulation, égalité d’accès, réappropriation de l’espace urbain, gratuité des services collectifs. Si on prend en compte le coût individuel de la voiture (rendu obligatoire pour beaucoup s’ils veulent travailler, ou circuler), un transport en commun qui remplacerait ce transport individuel serait une économie monumentale.

Bien entendu, la question de la gratuité ne doit pas nier de nombreuses autres problématiques : la question démocratique, la question de revoir le déplacement, c’est-à-dire réduire drastiquement les kms de déplacements qu’effectue notre société, de repenser totalement l’urbanisme… La lutte dépasse donc le simple aménagement du capitalisme mais se pose bien en rupture.

Les méthodes de lutte peuvent être nombreuses : organisations collectives, manifestations, arrêter l’utilisation de la voiture…

annulation des amendesLa résistance s’organise

En attendant, nous ne sommes pas obligé de payer un ticket dont le prix permet de financer les structures rendant payant les transports. Frauder pour des raisons politiques, de manière revendiquée permet de faire pression sur les transports collectifs vers la gratuité.

Des organisations nous invitent à nous organiser collectivement. Ces mutuelles de fraude, collectifs non officiels, présents dans toutes les grandes villes de France, permettent de mutualiser les frais d’amende et de s’organiser contre l’attirail répressif (partage de méthode pour éviter les contrôleurs, pour ne pas payer les amendes (si reçues), pour localiser les contrôleurs,…). On peut aussi créer très facilement une mutuelle dès que l’on atteint la dizaine de personnes.

A Paris par exemple, les mutuelles existantes collectivisent 7 euros par mois et par personne et remboursent toutes les amendes. Cela coûte beaucoup moins cher qu’un pass Navigo… Chaque fraudeur participe aux assemblées générales afin de partager/réfléchir autour de la fraude et ainsi porter des revendications collectives. L’idée n’est pas de pouvoir faire des économies individuelles, mais surtout de proposer une alternative collective généralisable et viable.

 

[1] http://carfree.fr/index.php/2008/07/18/vers-la-gratuite-des-transports-en-commun/

[2] Cf étude sociologique « à Bruxelles, chacun dans son quartier » du monde diplomatique 2003, lisable ici:

https://www.dropbox.com/sh/nwa9m4yocfvhjlr/AACu-FfaS5xd6iofJ_M-1f8Ka/textes%20d%27info%20divers/A%20bruxelles%2C%20chacun%20chez%20soi?dl=0

[3] Exemples de l’aéroport Notre Dame des Landes et de la ligne Lyon-Turin

NO TAV, à quoi sert un TGV ? http://escargotssolidaires.noblogs.org/post/2013/05/11/tgv-lt/

A Notre Dame des Landes : Un grand projet inutile http://escargotssolidaires.noblogs.org/post/2013/03/07/a-notre-dame-des-landes-un-grand-projet-inutile/

[4] Cf La Gratuité Totale des Transports Collectifs Urbains : Effets sur la fréquentations et Intérets, Bruno Cordier, Janvier 2007, ADEME, p164

[5] http://carfree.fr/index.php/2008/07/18/vers-la-gratuite-des-transports-en-commun/

Remarque : C’en est de même pour les TER, se référer à L’ouverture à la concurrence des services ferroviaires régionaux de voyageurs Jean-Marie Geveaux Thierry Lepaon Juillet 2012, Les Editions de Journaux Officiels, P35

[6] et [7] Lignes Gratuites, spécial Ecologie, Journal irrégulier du Réseau pour l’Abolition des Transports Payants, hors série écologie et n°3

RATP : pour frauder dans les transports en commun, créez votre mutuelle !, Article 11, 10 février 2009, http://www.article11.info/?RATP-pour-frauder-dans-les

 

Librement réutilisable

Tract téléchargeable: Version .doc: Tract 46 Gratuité des transports en commun pour tous maqueté

Version PDF: Tract 46 Gratuité des transports en commun pour tous maqueté

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INTEGRATION EXCLUANTE

Histoire fictive de Camille  

Ca y est, Camille est UTCéen.ne. Il/Elle a trimé pour y entrer et a mérité son ticket. Camille ne sait pas exactement ce qu’elle/il veut faire et a choisi de s’ouvrir un maximum de portes. Avec l’UTC, réputée pour ses UVs de « culture G » précieuses pour se forger un esprit critique, il/elle est sûr.e d’avoir fait le bon choix. Mais avant d’expérimenter le quotidien d’étudiant.e ingénieur.e, il y a l’intég…

Pendant l’intég, Camille va pouvoir rencontrer plein de gens différents venant de partout.

Origine sociale des étudiants en école d’ingénieur universitaire* Répartition en catégories socioprofessionnelle de l’ensemble de la population de 15ans ou plus**
Agriculteur, commerçant, chef d’entreprise 10,3 % 0,9%
Cadres, professions intellectuelle supérieure 48,2 % 8,7%
Profession intermédiaire 13,1% 13%
Employés 7,4% 16,5%
Ouvriers 6,8% 13,1%
Autre 14,2% 47,8%

*données 2012/2013, ministère de l’éducation nationale

**INSEE 2008

 

Pendant l‘intég, les « anciens » organiseront une bataille géante de mousse à raser, en forêt.

La mousse à raser est un produit chimique contenant de l’huile de palme, du triéthanolamine, de l’isopentane, des parabens et des PolyEthylene Glycol. Tous ces produits ont des conséquences directes ou indirectes sur l’environnement.

Pendant l’intég, Camille va gagner quelques euros en ouvrant un compte à la Société Générale, soit en bon UTCéen.ne l’équivalent d’une quinzaine de bières au bar étudiant.

La Société Générale est l’une des plus grandes banques européennes, avec des activités aux quatre coins du monde. Elle n’offre aucune transparence dans ses activités. On la retrouve impliquée dans de très nombreux projets controversés.

Elle a ainsi été impliquée dans le financement du barrage d’Ilisu en Turquie, qui menace de déplacer de force plus de 55 000 personnes en majorité kurdes.

Pendant l’intég,Camille saura qu’au Pic, les bières ne sont vraiment pas chères, et bonnes, mais du coup, après avoir pas mal picolé, il/elle se retrouvera à faire la danse du limousin (cette dernière consistant à se mettre nu) devant tout le monde. Hilarant. En même temps, il/elle ne pourra pas trop dire non, tous les « anciens » le/la regarderont et chanteront, accompagnés par les nouveaux.

Interdit par la loi depuis 1998, le bizutage est défini comme « Le fait pour une personne, d’amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants lors de manifestations, ou de réunions liées aux milieux scolaires et socio-éducatif ». Cette loi vise à protéger la dignité humaine et l’intégrité physique ou morale des personnes.

Si notre Camille est un homme, il sera considéré, après cette danse, comme un « mec qui a un organe ». Si c’est une fille, elle sera surement une « salope ».

Les taquineries, moqueries et relations de pouvoirs hommes/femmes développées en école d’ingénieur sont ensuite reproduites dans le monde du travail.

Pendant l’intég, Camilleet ses potes prendront une navette pour aller en Estu. Dans la navette, tout le monde chantera pour encourager le chauffeur, et quand il ira trop lentement, on chantera « le chauffeur est un homosexuel, homosexuel… ». Et ça le fera marrer, le chauffeur.

Les blagues sexistes, homophobes ou transphobes fusent lors des soirées étudiantes. La contrepartie est que « Les taux de suicide sont quatre à sept fois supérieurs à ceux des hétérosexuels du même âge et toutes les études font le lien avec le rejet social. Donc c’est l’homophobie qui tue », Philippe Castel, porte-parole de l’Inter-LGBT.

La semaine suivante, Camilleaura le droit à quelques amphis de présentation de certains cours. Il/elle va retrouver ses potes, pourtant, d’autres étudiant.e.s seront tout.es seul.e.s dans l’amphi. Surement pour n’avoir pas participé à l’intég, surement qu’ils/elles ne sont pas à l’UTC pour rigoler. Peu importe, Camille a suffisamment fait de rencontres…

L’histoire de Camille est finie, il est temps d’en retirer quelques enseignements.

Si l’intégration se doit de faire l’apologie de la bonne humeur elle se doit aussi d’être émancipatrice (individuellement et collectivement) et en aucun cas excluante. Cela est possible, au prix d’une réflexion préalable. Or dans son état actuel elle n’ouvre que sur la banalisation du mal. Vous cherchiez le lien entre tous ces épisodes d’intégration, le lien entre la Société Générale, l’huile de palme, l’élitisme social et l’homophobie ? Le voici : à l’UTC, école d’ingénieur réputée pour ses sciences humaines, on apprend les humanités sans les pratiquer, on fabrique des petits monstres savants, bourrés de culture G pour être confortables en haut de l’échelle sociale. Et cela commence dès l’intég lorsqu’on accepte les comportements non éthiques comme base de construction de nos identités d’ingénieurs. Alors pour les prochaines années, faisons-nous une fleur, et participons à une intégration digne des humanités ou ne participons pas.

Histoire vraie de l’intégration

L’intégration à l’UTC, qu’est-ce que c’est ? Une étape obligatoire de la vie d’étudiant ? Une association ? Une vieille habitude qu’on s’empresse de transmettre aux nouveaux dès leur arrivée ?

Le but officiel de l’intégration est de rassembler, de créer des liens dans un groupe. En pratique, deux méthodes complémentaires sont utilisées aujourd’hui :

– Le plus petit dénominateur commun. Nous cherchons à créer le groupe avec les plus bas instincts et émotions disponibles. Les jeunes enfants c’est « pipi-caca », les étudiants c’est « cul-alcool ».

– L’exclusion. Les dénominateurs soit disant communs sont en fait extrêmement excluant pour de très nombreuses personnes. On construit ainsi un groupe de « non-exclu », fort et soudé. Ce groupe de personnes intégrées s’empare « naturellement » de la représentation type de l’étudiant qu’il faut être, créant une majorité visuelle qui n’est pas forcément la majorité numérique.

Les non mâles-hétéro-machos-français ont intérêt à ranger leurs émotions, idées, ressentis, dans un coin et de trouver ça drôle (au second degré bien sûr) sous peine de se retrouver exclus eux aussi. Comme l’intégration intervient à un moment psychologique clef (nous sommes jeunes, nous arrivons dans l’inconnu, dans une nouvelle étape de vie, la vie de « grand »), on glisse facilement d’un groupe d’individualités qui ne se connaissent pas à des individus qui s’autocensurent au profit d’un groupe archétypique.

L’intégration profite de notre désir de « faire parti pour exister » pour nous conformer à une conception de l’étudiant basée sur les plus vils penchants de nos identités.

L’intégration est donc en cela le parfait révélateur des mécanismes de domination, sous-jacents ou explicites, des groupes humains. Leader populiste charismatique, lynchage collectif immédiat sur un bouc émissaire désigné par une élite, unité clanique, utilisation des peurs instinctives pour manipuler un groupe… Une sorte de grande expérience de psychologie-sociale a ciel ouvert !

Le résultat de l’intégration (et l’intégration est une expérience répétable sur de nombreuses promotions) est que la majorité visuelle (et non numérique) d’un échantillon représentatif des fils de cadres, cherchera à « intégrer » à son tour la génération à venir pour laver et dépasser l’humiliation qu’elle a subie. Troublante observation de la marche du monde dans ce tube à essai UTCéen non ?

 

Tract version word:VF tract 45 intégration excluante

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Compte-à-rebours

Sept milles deux cents secondes

voilà ce qui s’égraine

pendant que je purge la peine

des cerveaux qui grondent ;

un peu moins de deux heures

maintenant, pour aller chercher la rédemption blême

d’un cerveau de flemme

jeté à la bête immonde.

A vingt milles kilomètres à tire d’aile

dans un autre hangar qui fait se ressembler

ouvriers chinois et étudiants couleur des blés

la bête immonde fabrique des montres à la pelle.

 

Plus de cinq milles grains

sont encore à choir

sur les bonnes poires

qui grattent avec entrain ;

une heure et demie pour niveler le terrain

encombré par les corps

pleins d’échec et de remords

recrachés par la bête-montre-en-main.

De l’autre côté du globe

la bête produit des moissonneuses à la chaîne

qui de leur trotteuse, battront sans haine

des champs de blés en pantalon ou robe.

 

Toujours un sot de sable

au-dessus de notre goût pour la science

de notre curiosité, envie, patience

un saut pour les ensevelir, c’est inéluctable ;

plus qu’une heure de course-poursuite

(de surmenage, d’évanouissement, de vomissement

de peur, de mort des cœurs, de dépassement)

derrière une rédemption qui prend sa tombe comme point de fuite.

 

Ici et là-bas, la bête immonde se cache

dans l’urgence et la pauvreté des rimes

elle accélère le mouvement et on la mime.

La bête vit d’entropie et de gâche.

 

 

C’est fini

ça l’a toujours été

le compte-à-rebours n’était que l’illusion

de la rédemption, clé de la liberté

les choses qu’on croyait être sont enterrées

et dans l’espace ainsi préservé

les grains qui jadis tombaient

peuvent à présent pousser

sans se presser.

 

 

 

 

 

1 Contexte :

Petit poème rédigé au cours du final de RR01 lundi 23 juin 2014, de 8h à 10h, à la Halle des Sports.

45min après le début de cet examen, un étudiant derrière moi tombe par terre, inconscient. Puis, il se met à murmurer des choses incompréhensibles, il ne réagit toujours pas aux interventions des professeurs. Il vomit.

Passées 10min, il reprendra conscience et sortira de la Halle des Sports avec l’aide de deux personnes. Le final était infaisable. Il paraît que le niveau de la promo est bon ce semestre, alors le prof avait annoncé la couleur… Pourtant, le temps d’évaluer la situation et de réaliser qu’il ne me servait à rien de perdre du temps à tenter quoi que ce soit pour ce final impossible, le compte à rebours de 2 heures, de 7200 secondes pris pour moi une toute autre couleur. Voici une copie de ce que j’ai rendu au professeur.

 

Télécharger la version word: tract 44 Compte-à-rebours

la version pdf: tract 44 Compte à rebours

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Mais vous êtes fous !

 dracula vient de sucer des patients sous medicationDracula s’attaquant aux Hôpitaux Psychiatriques…

 Contrairement à Benny B qui revendiquait 24 ans plus tôt une folie tendre et comique, nous n’abordons plus aujourd’hui la question de la folie que d’une voix sérieuse et dramatique. A vrai dire c’est à peine si nous nous autorisons à y penser, la folie aujourd’hui s’appelle « trouble » et trouve des milliers de qualificatifs que seuls les experts connaissent. Mais en se destituant de la question de la folie pour la léguer, en France du moins, à une élite médicale, quel traitement réservons-nous implicitement aux fous ?

Bien avant d’enfermer les fous dans des hôpitaux psychiatriques (de façon consentie ou non), nous les enfermons de fait dans un diagnostic. Or, si le diagnostic psychiatrique médical est souvent basé sur des faits incontestables, il n’est pas le seul disponible. Bah oui, il existe d’autres approches dites comportementaliste, phénoménologique, sociologique, psychologique et j’en oublie, qui sont considérées tout aussi sérieusement en d’autres lieux ou d’autres temps.

Mais voilà, l’origine et donc le traitement médical de la « maladie » psychiatrique nous arrangent bien parce qu’ils concentrent les « défaillances » et les « soins » chez le « patient », le reste du monde peut continuer à tourner comme avant. Ainsi, on observe depuis plusieurs années l’émergence de manuels du bon psychiatre tel que le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, déjà la 5ème version disponible chez votre marchand de journaux !) dans lequel figure plus de 430 « troubles » parmi lesquels on peut citer quelques nouveaux venus : l’hyperphagie (maladie mentale consistant à avoir au moins une crise de gourmandise par semaine) et le trouble de déficit de l’attention (dont la limite de prescription est désormais fixée à trois colères par semaine pour un enfant). La première version du DSM établissait une liste de 106 troubles mentaux en 1952[1].

Cette hyper médicalisation est en fait le résultat logique de l’action des très puissants lobbies pharmaceutiques et d’une individualisation de la psychiatrie ; et parce que la psychiatrie est traitée ainsi, on en déduit que les « troubles » psychiatriques sont d’origine chimique. Mais on met la charrue avant les bœufs ! On devrait plutôt se demander d’où vient la folie avant de chercher à la traiter, non ?

Si l’on en croit les pratiques actuelles, les personnes souffrant de désordres mentaux auraient donc des problèmes d’ordre anatomique ou chimico-neurologique si vous préférez. La tristesse, le stress, la gourmandise, la colère, l’euphorie, quand ils prennent des proportions hors-norme témoigneraient d’un des ces désordres mentaux… A moins que la norme ne soit trop étroite.

Après tout, ça ne serait pas la première fois : jusqu’en 1992 l’homosexualité était considérée comme une pathologie psychiatrique par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). L’image que nous nous faisons de l’humanité est en perpétuel changement ; aujourd’hui, l’humain a des émotions modérées, il rentre dans le moule.

Par conséquent, ceux qui ne rentrent pas dans le moule sont mis à l’écart. Je parlais d’enfermer les fous dans un diagnostic, à l’échelle de la société nous les enfermons dans une case : « déviant ». Au même titre que les chômeurs et les sdf, les « déviants » psychiatriques sont vus comme improductifs car improductifs au sens de l’emploi. Au lieu de les considérer comme une richesse sociale, la société fait le choix de les « gérer », de les aider à être comme il faut. Le « déviant » est par définition en incapacité à suivre de lui-même la tendance générale.

J’oublie le fond du problème me direz-vous, tous les « troubles » psychiatriques ne se cantonnent pas à des burn out ou des dépressions, il y a les fous dangereux, de ceux qui agressent et parfois tuent ! Prenez la schizophrénie par exemple : « j’ai vu à la télé qu’un schizophrène avait tué deux personnes il n’y a pas longtemps ! ». 1 schizophrène. Sur les 600 000 cas déclarés en France[2].

Quand on sait qu’une étude suédoise révèle que les schizophrènes violents le sont le plus souvent à cause des psychotropes qu’ils prennent, on se dit que la schizophrénie est peut-être un problème gérable autrement que par la camisole, non ?

Et puis, si la gestion actuelle de la psychiatrie était si bonne, le nombre de « troubles » devrait diminuer…

Pourtant de plus en plus de personnes correspondent aux critères de ces nouvelles maladies. Mauvais critères ou mauvaise approche ? Est-ce que notre peur de la psychiatrie n’est pas aussi la cause de sa propagation ? De son aggravation ? En cas de « trouble », on panique, on veut agir vite, c’est la vie qui nous l’impose, le capital aussi. On prend sur soi, on prend des cachets et on continue sans rien changer. Notre médicalisation nous aide à supporter la folie croissante de la société.

[A un pensionnaire de la Clinique de La Borde : Comment il est le monde extérieur ?

Réponse : Insoutenable. Fou.]

Mais parfois, ça ne suffit plus. Quand cela arrive, une chose ne change pas, il faut agir vite. Et dans notre folie utilitariste on créer d’avantage de chambres de soin spécialisées (des cellules de prison avec des draps propres et de belles sangles) pour se protéger de ces « fous », ou juste pour les cacher.

Ceux qui sont les premières victimes de la « folie » et peut-être aussi les témoins d’une société qui s’accélère, s’affole, sont traités comme des criminels[3]. Et pourquoi ça ? Parce qu’on se demande d’abord comment se protéger des « fous », on se demande comment les faire revenir dans la norme avant de se demander en quoi ils sont « fous ». On n’interroge pas la norme. Demandez-vous : sont-ils fous ?

A cette question, les politiques et les médias[4] répondent à notre place, justifiant une vision sécuritaire du traitement de la psychiatrie. Insidieusement, la suspicion de danger public s’est propagée dans les esprits : « Si un tel se balade tout nu, il pourrait tout aussi bien violer des enfants », « il se balade en parlant à un ami imaginaire, il pourrait tout aussi bien nous agresser ». Or, une fois étiqueté « fou », celui-ci perd sa voix au chapitre psychiatrique tant et si bien que les seules personnes crédibles pour parler de psychiatrie sont celles dites « saines », « normales ».

les vrais fous so nt dehorsLes honnêtes gens se fournissent chez les fous.

Vous pourrez toujours faire confiance au système pour se protéger : alors que les médias vous parlent de dangerosité, les préfets en bon juge de la norme peuvent demander votre hospitalisation sous contrainte ! Alors vous, qui vous protègera quand vous serez devenu fou ?

Un monde sans fou, un droit à la folie pour tous ? D’autres visions sont possibles, nous vous invitons à lire un dossier plus complet disponible ici :

Livret psychiatrie

 

Pour télécharger le tract distribué:

PDF:Tract 40 Psychiatrie

Version modifiable: Tract 40 Psychiatrie VF maqueté

[1] INSERM, 2014

[2] La bible américaine de la santé mentale article du monde diplomatique par Gérard Pommier, décembre 2011

[3] Les moyens humains mis dans l’accueil en hospitalisation libre ont diminué ces dernières décennies, en parallèle le nombre d’hospitalisation sous contrainte a augmenté de 50% en 5 ans, pour atteindre en 2011 : 63 345 hospitalisations sur demande d’un tiers et 14 967 hospitalisations sur demande d’un préfet.

[4] Se référer par exemple au discours de Sarkozy le 2 décembre 2008 à Antony. Les médias de masse font souvent ces parallèles concernant des faits divers, ou insistent sur les « 10000 fugues par an », les agressions, les crimes, ces gens que « La prison ne sait pas les soigner et [que] l’hôpital ne peut pas les retenir » (Le Figaro, 2008).

 

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