« Et vous voulez quoi comme épilation, le maillot échancré ou le maillot de grand-mère ? Ahah »
A l’époque, dans le centre d’épilation définitive où l’on m’a accueillie comme ça, cette blague m’a fait rire. Depuis, ma réflexion sur l’épilation a un peu évolué, et voici à peu près ce à quoi j’ai abouti.
La majorité des femmes commence à retirer leurs poils dès le début de la puberté, autour de 12-14 ans1. Au début, s’épiler n’est pas une partie de plaisir : ça fait mal, ça prend du temps et de l’argent. Mais on s’habitue et, finalement, la majorité continue à s’épiler régulièrement tout au long de sa vie. Pourtant, en plus des inconvénients précédemment cités, l’épilation ou le rasage ont d’autres désavantages :
- ils dessèchent et fragilisent la peau, favorisent les infections et la pénétration des produits toxiques contenus dans les vêtements et les cosmétiques ;
- ils occasionnent des rougeurs, des boutons, causent des démangeaisons
- ils produisent des repousses moins douces que les poils d’origine
- ils empêchent des mécanismes de régulation de températures effectués par les poils
- ils polluent : industrie des crèmes dépilatoires et rasoirs jetables, emballages qui vont avec tous ces produits…
- etc.
On peut donc se demander pourquoi, avec tant d’arguments à son encontre, nous sommes tant à nous épiler/raser.
« Les poils c’est moche »
La pilosité féminine est majoritairement jugée inesthétique : demander à quelqu’un.e ce qu’ielle pense d’une femme avec des poils aux jambes par exemple, le confirme facilement. On s’épilerait donc pour un critère de beauté, parce que « je trouve ça moche les poils sur mes jambes ». Et s’épiler serait un choix qu’on ferait, comme on ferait n’importe quelle autre modification corporelle (teinture, tatouage…) c’est-à-dire en fonction de nos goûts ou nos envies. Mais alors, comment se fait-il qu’on soit une écrasante majorité à avoir les mêmes goûts ?
Norme sociale et médias
Tout d’abord, et comme pour les régimes amincissants ou autres produits de beauté, on est régulièrement confronté.e.s à des publicités pour des produits d’épilation ou de rasage qui nous « aideraient à nous sentir belle et bien dans notre corps ». À côté de ça, les médias contribuent à alimenter cette image de la femme-féminine-sexy sans poils, en ne nous mettant que rarement, voire jamais, face à d’autres représentations féminines (représentations qui nous montreraient que c’est possible pour une femme d’avoir des poils). Ainsi, de manière inconsciente, on intègre cette idée qu’une femme, c’est beau quand ça n’a pas de poils2.
Le poids de la norme
« Chewbacca » « portugaise », « putain regarde elle a des poils sous les bras! » etc… Qui n’a jamais entendu ou utilisé ce genre d’expression pour se moquer de quelqu’un ou faire une blague ? On voit bien là à quel point la société est sévère à l’encontre des femmes qui ne respectent pas la norme de l’épilation. C’est là tout le problème d’une norme : ce qui devrait être un choix n’en est plus un. Aujourd’hui, on ne s’épile pas parce qu’on se dit « tiens si j’enlevais mes poils pour voir », mais parce qu’il y a une pression sociale monumentale, et parce que ne pas s’épiler c’est s’exposer à un regard très critique des personnes qui nous entourent. L’influence de cette norme a des proportions considérables : être embêtée d’aller à la piscine parce que ça signifie devoir s’épiler avant, être gênée à l’idée de recevoir un cuni parce qu’on n’est pas parfaitement épilée, faire du sport en pantalon tout l’hiver si on garde ses poils…3 On en vient donc à modifier notre comportement et nos loisirs en fonction de nos poils.
Diabolisation du corps féminin
Noémie Renard4 le dit bien : « Quand on y réfléchit attentivement, cette situation semble invraisemblable. On sourit volontiers en s’imaginant un Moyen-Âge, souvent fantasmé et caricaturé, où des hommes hurleraient à la nature diabolique du corps des femmes. On écarquille les yeux de surprise quand on lit qu’il n’y a pas si longtemps, les hommes chinois trouvaient les pieds des femmes proprement répugnants s’ils n’étaient pas déformés par des bandages. Mais le corps des femmes est encore haï dans notre société. La pilosité féminine, sur les jambes ou sous les aisselles, ne constitue pas une maladie ou une anomalie. L’immense majorité des femmes présentent des poils à ces endroits-là. »
Sexisme et normes de beauté
Les idéaux de beauté ne sont pas neutres. Le développement du port du corset dans la deuxième partie du XIXème siècle, de l’industrie du maquillage dans les années 1920 ou de l’épilation dans les années 80 par exemple ont un point commun : ils apparaissent à des périodes où des mouvements féministes se développent et où les femmes gagnent en liberté. C’est l’idée d’un « retour de bâton » : le gain de certaines libertés pour les femmes serait compensé par d’autres formes de contraintes, dont des normes de beauté très sévères. Car finalement, en nous imposant une apparence, on nous impose une conduite : celle de passer du temps, de l’argent et des souffrances, jour après jour, pour se plier à un idéal de beauté qu’on n’a pas choisi. Un comportement de subordonnée5.
Choix conscient ou aliénation ?
Sur un site relatif à l’épilation définitive, on peut lire « Se débarrasser définitivement de ces poils indésirables est le souhait de la plupart des femmes6« . Mais finalement, est-ce vraiment leur souhait ou est-ce une vision de la beauté qu’elles ont intériorisée et se sont appropriée à force de l’entendre répéter ? D’après MIEL7, « L’épilation est un comportement de soumission à une norme sociale, et – ce qui est vraiment grave – la plupart des femmes qui la pratiquent n’ont aucunement conscience de cette soumission. Elles perçoivent au contraire leur comportement comme un choix personnel, ce qui constitue une aliénation. (pour rappel, aliénation = le fait qu’on a l’impression qu’il s’agit de notre propre choix, de nos goûts : on ne se sent pas contraint).
« Et vous voulez quoi comme épilation, le maillot échancré ou le maillot de grand-mère ? ahah »
Je ne suis pas sûre de trouver un jour beaux tous mes poils, je ne suis pas sûre d’arrêter un jour définitivement de m’épiler. Mais une chose est sûre : la prochaine fois qu’un médecin me tiendra un tel propos, je ne rirai pas. Parce que c’est ce genre de réflexion qui alimente la pression sociale et rend l’épilation non-facultative (et que c’est encore plus révoltant qu’elle vienne d’un professionnel de la santé). Parce que, maintenant que j’en veux moins à mes poils, je vois bien à quel point ma vision de la pilosité provenait d’une norme esthétique que j’avais intégrée mais qui n’est pas fixe ; je vois bien qu’il se pourrait même que je trouve un jour ces poils beaux. Parce que ce genre de réflexion alimente le produire-consommer-polluer du capitalisme (selon le journal The Independent, le marché de l’épilation a généré 2,1 milliards de dollars aux États-Unis en 2011…).
Finalement, « il reste donc à réussir à s’arracher de cette société de consommation dont le but est bien entendu de pousser à acheter des crèmes en tout genre, rasoirs 18 lames ou rouges à lèvres dernière génération qui brillent dans le noir pendant 95 heures. Sans parler des yaourts magiques « minceur extrême » qui vous font perdre 10 kilos en deux semaines… Avant, qui sait, que le vent tourne et entreprenne l’avènement d’un modèle où hommes et femmes n’auront plus besoin de se cacher derrière de faux-semblants pour vivre – et s’apprécier (l’un l’autre et soi-même) – comme la nature les a créés. Avec leurs beautés, et leurs défauts. »8
1https://antisexisme.net/2016/02/06/impuissance-04/
2Il n’en a pas toujours été ainsi : de fait, la norme du « sans poil » est relativement récente et remonte aux années 80-90 en Occident. Il n’y a encore pas si longtemps, le poil était jugé très érotique et la pilosité féminine était considérée comme un symbole de sensualité chez la femme
3Vision courante dans un cours de sport en hiver : tous les mecs sont en short et toutes les filles… en pantalon
4https://antisexisme.net/
5Chez les jeunes femmes féministes des années 1970, une revendication centrale était d’ailleurs le droit de n’avoir pas à être en permanence sexuellement attirante (« femme-objet»). L’épilation était à refuser au même titre que les bas ou les talons aiguilles.
6http://www.epilation-definitive.com/
7Mouvement International pour une Ecologie Libidinale, http://www.ecologielibidinale.org/fr/miel-etesansepilation-fr.htm
8David Courbet, L’Obs, http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1377739-douche-epilation-stop-au-sexisme-dans-le-coit-les-hommes-aussi-pourraient-se-laver.html
SUPPLÉMENT POILS
Et maintenant on fait quoi ? (Manuel de dépoilage du cerveau)
•Prendre conscience
S’informer, lire sur le sujet, se rendre compte de la norme qui nous entoure et de ses mécanismes, mais aussi du fait que d’autres représentations existent, pour après faire son choix (un peu plus) en connaissance de cause.
« c’est un très bon détecteur à connard »
•Tenter…
… et se rendre compte que souvent, ça ne fait pas un drame ! Malgré tout ce qu’on pourrait nous faire croire, des jambes un peu poilues ne se remarquent souvent pas, et un maillot non-épilé ne fait pas toujours fuir les partenaires sexuel.les. Souvent, tenter et faire semblant qu’on est à l’aise avec, marche, et peut rendre à l’aise ! Ce qui est encore plus cool, c’est que avoir ce « courage » de montrer ses poils peut inspirer d’autre courages.
•En parler / communiquer dessus
« Mais toi tu vis pas dans le même monde, t’as pas les mêmes potes que moi… ». Ici, on sous-entend que certaines sont entourées de personnes plus ou moins tolérantes, ou habituées au discours de « libération des poils ». Peut-être alors que le commencement serait d’évoquer le sujet autour de soi pour faire évoluer les mentalités, même à sa petite échelle.
•Agir !
Réagir aux insultes anti-poils, taguer les affiches, faire des tracts (ah ouais là on agit trop!) … Une anecdote d’une héro : « J’avais tagué une pub pro-épilation avec un « mon corps m’appartient, mes poils aussi, JE décide ». Des amies, sans même savoir qui en était l’auteur.rice, m’avaient fait part d’à quel point ça leur avait fait du bien de tomber sur ce graphiti. »
Exemple d’une pub à taguer ….
L’important est surtout de réussir à ne pas en faire une fixette, une maladie, et un rejet de soi-même. Peut-être qu’on devrait apprendre un peu plus à devenir ami avec son corps, plutôt que d’apprendre à lui faire la guerre …
Outils
http://hairypitsclub.tumblr.com/
http://antisexisme.net/
http://lesquestionscomposent.fr/2457-2/
http://www.pinupbio.com/faut-il-sepiler-remise-en-questiondune-
violence-ordinaire/#sthash.9ieDTT0v.dpbs
http://www.madmoizelle.com/
Et autres …
Arrêter de s’épiler est le seul moyen de lutter contre les poils incarnés à tout jamais!
« Prenez n’importe quel film ou série, dans lequel il serait question de naufragés perdus sur une île déserte… Au bout de plusieurs mois de naufrage, les hommes ont des barbes etles femmes … n’ont rien sous les bras. Tout est normal. Personne ne se pose la question. Le poil féminin n’existe pas en fait. » Illustration ici dans Lost.
« there is more than one way to be beautiful »
Patti Smith, style, rock & poils
Tract téléchargeable & mis en page, servez-vous et distribuez!