L’éducation populaire, rempart contre le totalitarisme ?

Repères historiques[1] 

En 1792, Condorcet pose la première pierre de l’éducation populaire avec le concept d’éducation permanente (tout au long de la vie). A la fin du 19ème siècle, c’est la lutte contre l’obscurantisme, qui en prenant la religion catholique pour cible, permet d’installer la laïcité dans notre paysage idéologique de l’éducation. A la sortie de la seconde guerre mondiale, les résistants sous le gouvernement de Vichy mirent un point d’honneur à enrayer toute forme de fascisme et de collaboration à leur base : l’éducation.  « Comment apprendre à désobéir ? », voilà une question que l’éducation populaire se pose depuis. Pourtant, les 60 dernières années, les termes d’éducation populaire ont été récupérés et amalgamés plusieurs fois[2]. Aujourd’hui, le gouvernement ne parle plus d’éducation populaire que dans une toute petite partie du Ministère de la ville, de la jeunesse et des sports : on est bien loin des moyens dont dispose l’éducation nationale ou des vocations de l’éducation permanente et politique.

Finalité

Nous donnerons ici la finalité de l’éducation populaire politique, pas celle d’une « éduc pop » vidée de sa substance à force de remaniements ministériels. Bien qu’il n’existe pas une seule définition de l’éducation populaire politique, on peut s’accorder pour dire qu’elle vise l’émancipation des personnes apprenantes et le développement d’un esprit critique. La finalité étant que chacun.e soit apte à participer à la vie d’une société et à la transformer [3].

L’éducation populaire répond aux « disfonctionnements de l’éducation conventionnelle [4] »

  • « reproduction de l’autorité et d’une certaine logique du pouvoir »

Pour éviter que les personnes « apprenantes » ne soient dépendantes de personnes « sachantes » et donc obligées envers elles (on peut penser à des élèves qui doivent se soumettre aux règles d’un.e professeur.e ou à des enfants se soumettant à l’autorité des parents), l’éducation populaire (E.P.) s’accompagne de différentes formes de pédagogie active et participative. Apprendre devient alors un processus volontaire et circulaire en contradiction avec l’idée d’un enseignement passif et unidirectionnel. Le fait de savoir quelque chose ne donne plus de droit sur l’autre, bien que des rapports apprenant.e.s-sachant.e.s éphémères puissent continuer d’exister. L’expert.e est descendu.e de son piédestal, le pouvoir d’agir des personnes apprenantes est restauré. De même, l’éducation cesse d’être une course au savoir, une course au pouvoir, plutôt que d’enseigner l’autorité elle devient source d’émancipation.

  • « reproduction du système dominant, aujourd’hui, le capitalisme mondialisé »

L’E.P. se veut un vecteur de transformation sociale. Or, sa réflexion sur la hiérarchie l’amène parfois à expérimenter l’autogestion qui, non seulement, va dans le sens d’une égale responsabilité entre apprenant.e.s et sachant.e.s mais permet les allers-retours constants entre théorie et pratique nécessaires à l’ancrage de l’éducation dans une société donnée. L’E.P., contrairement à l’éducation académique qui n’offre presque aucun recul sur la société qui la produit, cherche en premier lieu à développer un regard critique sur cette dernière. Par ailleurs, elle propose des outils permettant d’enrayer la reproduction du système dominant, en redonnant le choix de leurs objets d’étude aux personnes apprenantes, par exemple. Au lieu de se préparer à la société actuelle que connaissent si bien les personnes sachantes, les personnes apprenantes peuvent (se) préparer aux sociétés de demain. Finis les enseignements compartimentés en domaines étanches, ils ne sont bons qu’à nous mouler à des métiers spécialisés que nous pratiquerions sans compréhension des enjeux collatéraux. L’éducation doit former des citoyen.ne.s pas des professionnel.le.s. L’éducation ne doit pas être une étape vers la société économique mais un garant d’une société politique, c’est-à-dire une société où le pouvoir est pratiqué par le peuple et non par des algorithmes (avec lesquels il est difficile de dialoguer).

Re-politiser une société algorithmique, plus qu’une « chasse aux expert.e.s », signifie aussi faire le deuil de toute certitude. Ainsi, la transdisciplinarité et la subjectivité prennent toute leur place dans l’E.P. par le débat et la construction collective du savoir. Chacun.e apporte son expérience, ses connaissances pour qu’elles soient ensuite mises en cohérence par le collectif.

La certitude éjectée du fondement de l’éducation, finis donc les enseignements uniquement basés sur l’instruction. L’intelligence humaine n’est pas faite que de savoirs, elle est aussi composée de savoir-faire et de savoir-être, dont notamment l’esprit critique, la capacité à débattre et l’imagination font partie. L’imagination, indispensable pour penser le monde de demain et le croire possible, se cultive par le jeu, la rêverie et tous les temps informels que permet l’E.P. et que l’éducation conventionnelle condamne.

examen de l'arbre

  • « reproduction des oppressions (sexisme, racisme, âgisme, pillage des ressources terrestres et pollution…) »

Privilégier une éducation par le débat implique nécessairement des efforts afin de libérer la parole de tou.te.s. De même, prendre du recul vis-à-vis de la société implique de conscientiser les logiques et comportements oppressifs issus de cette même société et que nous avons intériorisés. Ainsi, l’E.P. par sa volonté même d’éduquer par la construction et l’émulation collective, permet de déconstruire progressivement des attitudes discriminatoires que l’éducation conventionnelle développe par la mise en compétition des personnes apprenantes. Imaginez – à la place de vos amphis où s’est installée une ségrégation linguistique – des groupes de discussion où chacun.e aurait le temps de parler et d’être écouté.e, imaginez à la place de vos cours de futur.e.s ingénieur.e.s pollueurs-euses que vous puissiez organiser un débat sur le rôle de la technique dans les sociétés de demain, sans avoir à en référer plus au corps enseignant qu’à n’importe lequel de vos camarades… Une éducation qui remettrait les rapports humains et l’éthique en son centre et laisserait de côté la recherche de résultats à tout prix et le productivisme.

Les acteurs et actrices de l’E.P. aujourd’hui

Les personnes et organisations impliquées dans l’E.P. ont des portes d’entrée diverses. Une classification grossière reviendrait à dire que les SCOPs d’éducation populaire cherchent surtout à développer l’esprit critique et proposent des outils de sensibilisation tels que la « conférence gesticulée », que les associations se revendiquant de l’E.P. et les écoles Freinet travaillent beaucoup sur la pédagogie active, les outils de débat et le jeu, que les syndicats étaient d’importants moteurs de transformations sociales et à l’éducation au rapport de force, que les lycées autogérés (comme le Lycée Autogéré de Paris, ou le Lycée expérimental de Saint-Nazaire) expérimentent l’autogestion et que les milieux libertaires et artistiques (tels que les squats mais pas seulement) permettent de mixer les âges, les nationalités, les parcours. Encore une fois, il n’existe pas une seule éducation populaire et chaque initiative ne regroupe pas tous les critères énoncés, mais toutes se reconnaissent dans la finalité et se complémentent.

Limite de l’E.P.

Les méthodes de l’éducation populaire sont tentantes : utilisation de jeux, d’outils de débat, diminution voire abolition de la hiérarchie, en apparences… Il est cependant tout à fait envisageable de reproduire ce cadre afin de servir des intérêts particuliers. En l’absence de professeur.e ou d’expert.e, les personnes « animatrices » ou « facilitatrices » peuvent certes s’effacer plus aisément en utilisant les méthodes d’E.P., mais elles peuvent aussi influencer un groupe de personne sans se montrer. Ceci ne serait rien d’autre que de la manipulation, contre-productive vis-à-vis de la finalité de l’E.P.

 

[1] L’éducation populaire s’est développée simultanément en différents lieux et par différents acteurs. Il ne s’agit là que d’une des versions de son histoire (qui occulte les mouvements religieux ou ouvriers) et elle est partielle.

[2] Pour plus d’informations : Conférence gesticulée, Inculture(s) 1 de Franck Lepage sur Youtube.

[3] Augusto Boal, metteur en scène brésilien et inventeur du théâtre de l’opprimé disait « Être citoyen, ce n’est pas vivre en société, c’est la changer. »

[4] Par éducation conventionnelle, nous entendons principalement l’éducation nationale et parentale autoritaire classique.

 

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