Au milieu du campus de l’université de Grenoble vit un petit jardin-potager : les Jardins d’Utopie. Une cabane pour ranger les outils, une serre et quelques carrés de légumes. On y fait pousser des salades, des pommes de terre, des tournesols… Des centaines de personnes passent devant chaque jour et chacun peut venir jardiner ou récolter des légumes librement.
Historiquement, les Jardins d’Utopie sont nés pendant les mouvements anti-CPE[1] de 2006. La démarche était de rendre idées et pratiques plus cohérentes. Nous vivons en effet une époque où l’essentiel de notre nourriture est fabriqué avec le recours massif à des produits chimiques et pétroliers, loin des lieux de consommation, dans des conditions sociales déplorables. Non seulement le bilan écologique est désastreux, mais nous perdons tout un patrimoine de la culture vivrière, avec ses savoir-faire et ses innombrables variétés végétales.
A titre personnel, nous avons tous une certaine marge de manœuvre pour orienter nos choix et limiter notre impact. En revanche, nos possibilités d’action sont rapidement limitées. L’organisation collective permet d’aller plus loin, de construire des alternatives pratiques, qui fonctionnent, et de mener des luttes symboliques.
Potager gênant
L’idée de Jardins d’Utopie est simple : utiliser l’espace public pour créer un potager collectif où chacun puisse venir apprendre à jardiner, regarder pousser des plantes, réfléchir, manger, ramasser des légumes, jouer de la musique… Le fonctionnement est entièrement basé sur la gratuité, la confiance mutuelle et l’absence de hiérarchie. Douce utopie ? Voilà déjà 8 ans que la continuité est assurée et que des kilos de légumes sont produits, sans pesticides et en dehors de tout rapport marchand.
Les positions politiques et le fonctionnement incontrôlable – sans subvention et sans chef – des Jardins d’Utopie déplaisent à l’administration du campus. Selon les termes du directeur de l’aménagement et du développement durable, le jardin-potager fait tâche et ce n’est pas aux étudiants de maîtriser l’image du campus.
L’université de Grenoble, lancée dans une compétition internationale sans fin, cherche à être la plus attractive possible, à grimper toujours plus haut dans les classements face aux autre établissements. Les doux rêveurs aux tendances antiautoritaires sont un contre-pouvoir, un pôle de mémoire des luttes passées, un germe des résistances futures, un grain de sable qu’il faut balayer…
Pelle mécanique
Pour retirer un jardin gênant, parce que trop visible, l’administration a décidé de détruire une des parcelles en 2011. Cependant, les jardins d’Utopie bénéficient d’une forte légitimité et de nombreux soutiens, les jardiniers sont donc revenus de plus belle, ont occupés les lieux avec des tentes et ont replantés des légumes.
L’administration a besoin d’un prétexte pour justifier la suppression des jardins. Elle a donc décidé la construction d’une « Esplanade conviviale à dominante verte » exactement à l’emplacement des Jardins d’Utopie. Les mots choisis sont une véritable caricature de greenwashing, les modalités de la convivialité sont imposées d’en haut, avec une couche de vernis écologique. Pour se débarrasser d’un jardin-potager chargé d’histoire, impossible à dompter, on le remplace par une couche de béton, impossible à cultiver.
Procédure judiciaire
Pour mener à bien les travaux, l’administration a lancé une procédure d’expulsion en septembre 2013. Un huissier de justice est venu dresser un procès-verbal pour occupation abusive et dégradation de l’espace public. Ici aussi le choix des mots illustre l’état d’esprit et les priorités de l’administration :
« des personnes, sans la moindre autorisation, ont investi les espaces verts du domaine public […] sur lesquels ils cultivent deux jardins potagers, constitutifs d’une dégradation du domaine public en ce qu’ils en modifient l’aspect paysager et font obstacle aux travaux d’entretien »
« L’ensemble a provoqué la disparition de la pelouse en gazon et bouleversé la configuration d’origine plane du terrain »
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Deux jardiniers, pour avoir planté des patates, risquent de fortes amendes. Un appel à soutien a été effectué par les jardins d’Utopie en réaction à la bataille juridique entamée. Plus d’informations, sur les lettres de soutien, le compte-rendu du procès en référé, le procès-verbal d’accusation, sont disponibles sur http://jardins-utopie.over-blog.com
[1] Le Contrat Première Embauche était un contrat de travail, destiné aux moins de 26 ans. Il permettait notamment à l’employeur de licencier sans motif le salarié pendant une période de deux ans. De vastes mouvements s’y sont opposés.