TAFTA : Tous les pouvoirs aux multinationales ?

« Nous avons tout à gagner à aller vite. Sinon, nous savons bien qu’il y aura une accumulation de peurs, de menaces, de crispations. »

François Hollande, le 11 février dernier, lors de sa visite d’Etat à Washington.

marques TAFTATAFTA ou TTIP en anglais, PTCI ou encore l’accord de partenariat transatlantique (APT) en français, est un  projet d’accord commercial passé entre les Etats Unis et l’Union Européenne engagé depuis juillet 2013 envisagé pour 2015. Négocié de façon opaque, celui-ci, ardemment soutenu par les multinationales, leur permettrait d’attaquer en justice tout État qui ne se plierait pas aux normes du libéralisme. Cet accord concerne tout de même près d’un tiers des échanges commerciaux entre l’Europe et les Etats Unis, et 50% du PIB Mondial, et touchera potentiellement tous les secteurs : Sécurité des aliments, assurance-maladie, liberté du Net, protection de la vie privée, énergie, culture, droits d’auteur, ressources naturelles, équipements publics, immigration…

Argument marketing

Cet accord est vendu par ceux qui la conçoivent comme permettant de créer de la croissance et de l’emploi. On retrouve toujours ce mythe de la croissance perpétuelle avec des études économiques déconnectées du réel. Si on étudie le passé, la mise en place d’un accord similaire entre les États-Unis, le Canada et le Mexique (ALENA) s’est accompagnée de la destruction de près d’un million d’emplois sur le sol américain, malgré la promesse de créer 20 millions d’emplois et de multiplier par trois des échanges commerciaux. Au Mexique, 5 millions d’emplois agricoles ont été détruits depuis 1994.

Revenons plutôt sur le fond même de l’accord.

Composition de l’accord

3 grands axes :

ð  La réduction de droits de douane économique

ð  La mise en place d’une procédure de règlement des différends

ð  L’harmonisation des normes réglementaires. L’idée n’est pas tant d’abattre les barrières existantes  que d’organiser une concertation pour la fixation des normes à venir.

Au sujet des droits de douane :

                Malgré des droits de douanes généralement peu élevés (en moyenne de 2%) certains secteurs, tels que l’agriculture, sont encore protégés par des taux bien plus élevés. Par exemple concernant le modèle agro-exportateur défendu par les transnationales, une baisse des droits de douane obligerait un alignement qui serait purement économique, ce qui exigerait de généraliser ce modèle car le plus concurrentiel. Cela aurait pour conséquence d’affaiblir les standards environnementaux, alimentaires et sociaux. Les élevages de bœufs aux Etats Unis par exemple sont en moyenne 13 fois plus important qu’en Europe. Ils veulent exporter le modèle de ferme-usine, avec un mode d’élevage calqué sur la rentabilisation bien au-delà encore de ce qui est pratiqué en Europe (hormone de croissance, OGM, antibiotiques, carcasses chlorées…)

Pouvoir judiciaire aux multinationales

            Le système d’arbitrage privé investisseur-État est un cadre juridique créé en 1994  qui permet aux entreprises multinationales d’attaquer, via des traités sur le commerce et l’investissement, un pays qui aurait pris ou qui souhaiterait prendre des mesures sociales ou environnementales qui ne serait pas conforme aux « prévisions » de l’investisseur, par quoi il convient d’entendre que le gouvernement s’interdira de modifier sa politique une fois que l’investissement a eu lieu. Nulle contrepartie de la part des multinationales : elles n’ont aucune obligation à l’égard des Etats et peuvent engager des poursuites où et quand cela leur chante. Cette procédure est déjà mise partiellement en œuvre dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui dispose de son organe de règlement des différents (ORD).

Cette procédure entraîne des conséquences de plus en plus importantes : le coût moyen d’un procès est de 8 millions de dollars au frais de l’Etat. Cette pression financière peut avoir des conséquences directes, comme pour l’État canadien qui a préféré abroger l’interdiction d’un additif toxique utilisé par l’industrie pétrolière plutôt que de subir un procès coûteux. Quelques exemples de l’ingérence que cela représente sur la législation :

  • Le géant américain du tabac Philip Morris poursuit l’Uruguay et l’Australie sur leur législation anti-tabac;
  • L’année dernière, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a ainsi condamné les Etats-Unis pour leurs boîtes de thon labellisées « sans danger pour les dauphins », pour l’indication du pays d’origine sur les viandes importées, ou encore pour l’interdiction du tabac parfumé au bonbon, ces mesures protectrices étant considérées comme des entraves au libre-échange. Elle a aussi infligé à l’Union européenne des pénalités de plusieurs centaines de millions d’euros pour son refus d’importer des organismes génétiquement modifiés (OGM).
  • La compagnie suédoise d’énergie Vattenfall poursuit l’Allemagne parce que le pays a décidé sa sortie progressive de l’énergie nucléaire et demande 3,7 milliards de compensation de profit ;

procès multinationales EtatsTAFTAOn peut encore citer des procès contre l’augmentation du salaire minimum en Egypte ou contre la limitation des émissions toxiques au Pérou. Jusqu’à maintenant tous ces procès ont été tenus à travers l’OMC, l’accord transatlantique facilitera ces procédures en permettant aux multinationales de poursuivre en leur propre nom un pays signataire dont la politique aurait un effet restrictif sur leur abattage commercial.

Un accord secret fait par les multinationales

Du côté européen, 130 réunions ont été organisées par la Commission européenne pour préparer les pourparlers, « 119 ont eu lieu avec des multinationales, 11 avec tous les autres représentants » (ONG, Associations). L’ancien ministre du commerce américain Ronald (« Ron ») Kirk reconnaît l’intérêt « pratique » de « préserver un certain degré de discrétion et de confidentialité »  Mais en quoi les ONG et les parties civiles seraient-elles moins « fiables » à consulter que des grosses entreprises quand il s’agit de prendre des décisions avec un tel impact socio-économique? Les délégations américaines comptent plus de six cents consultants mandatés par les multinationales, qui disposent d’un accès illimité aux documents préparatoires et aux représentants de l’administration.

120 millions d’euros sont dépensés chaque année par l’industrie financière en actions de lobbying à Bruxelles, auprès des institutions européennes.

Une fatalité ?

Il est souvent renvoyé l’image que nous n’avons pas le choix de la libéralisation. Mais c’est cet accord qui servira de prétexte pour contraindre à l’abandon des mesures trop « protectionnistes », la possibilité d’un point de vue social, environnemental, du bien être animal… n’étant pas envisageable par TAFTA. Ce sont les mêmes politiciens négociant cet accord qui annonceront le « non choix » de la législation nationale.

Le système mis en place dans notre monde libre repose sur l’accord tacite d’une sorte de contrat passé avec chacun d’entre nous que l’on signe chaque matin en nous réveillant, simplement en ne faisant rien. [1]

Rien n’est jamais fatal, les lois libérales successives de ces dernières décennies donnent de plus en plus de pouvoir aux multinationales qui va de concert avec des inégalités qui augmentent. Dans le monde, on est passé de 470 milliardaires (qui possédaient en cumulé 0,898 billions dollars) en 2000 à 1645 en 2014 (qui possèdent en cumulé 6,4 billions dollars).

“La lutte des classes existe et ce sont les riches qui sont en train de la gagner” Warren Buffet, multi-milliardaire.

Mis en page (version pdf):Tract 36 accord transatlantique TAFTA


[1] Référence  à j’accepte, le contrat tacite des gens qui dorment.

Sources pour aller plus loin:

http://france.attac.org/se-mobiliser/le-grand-marche-transatlantique/article/pour-en-finir-avec-les-mythes-sur?id_rub=22&id_mo=119 Pour en finir avec les mythes sur la transparence des négociations commerciales UE-US, lundi 6 janvier 2014, par Corporate Europe Observatory, Transnational Institute

Sur la question des gaz de schistes, ses dangers, en liens avec l’accord TAFTA : http://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports-37/article/non-a-la-fracturation-hydraulique?id_rub=22&id_mo=119

http://france.attac.org/se-mobiliser/le-grand-marche-transatlantique/article/pour-en-finir-avec-les-mythes-sur?id_rub=22&id_mo=119 Pour en finir avec les mythes sur la transparence des négociations commerciales UE-US, lundi 6 janvier 2014, par Corporate Europe Observatory, Transnational Institute

Le marché transatlantique contre le climat et la transition énergétique ? samedi 15 mars 2014, par Maxime Combes, http://france.attac.org/se-mobiliser/le-grand-marche-transatlantique/article/le-marche-transatlantique-contre?id_rub=22&id_mo=119

http://www.collectifstoptafta.org/IMG/pdf/taftatract_def.pdf Le Grand Marché Transatlantique : de quoi s’agit-il ?, par le collectif stop tafta

https://stoptafta.wordpress.com/2014/03/19/les-degats-de-larbitrage-prive-contre-les-etats-tafta-ttip/

http://www.alimenterre.org/ressource/l%E2%80%99accord-partenariat-transatlantique-sujet-a-surveiller-pres

http://france.attac.org/se-mobiliser/le-grand-marche-transatlantique/

http://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports-37/articles/une-declaration-transatlantique-des-droits-des-multinationales?id_rub=22&id_mo=119

Le traité transatlantique, un typhon qui menace les Européens par Lori M. Wallach, novembre 2013, article du monde diplomatique

http://www.collectifstoptafta.org/IMG/pdf/taftatract_def.pdf Le Grand Marché Transatlantique : de quoi s’agit-il ?, par le collectif stop tafta

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