LES SEMENCES PAYSANNES, les graines de la colère

Pourquoi parle-t-on des semences paysannes? Et c’est quoi?

Depuis la sédentarisation des humains dans le croissant fertile il y a 12 à 14 000 ans, nous ne cessons de sélectionner les semences. Une semence qui disparait, ce sont plusieurs siècles à plusieurs millénaires de travail et de connaissances. Toutes nos prouesses des laboratoires semenciers se basent sur ces plantes-là. Ces plantes qui se sont adaptées à chaque sol de chaque territoire et qui sont génétiquement très différentes.

Aujourd’hui parmi ces graines, seuls quelques dizaines sont autorisées à la commercialisation, et sont regroupées dans un catalogue officiel, tenu par le parlement européen. Toutes les autres graines, on estime à plusieurs centaines de milliers de variétés, sont considérées comme étant des variétés anciennes.

Par ailleurs, lorsqu’un paysan achète des semences inscrites et qu’il décide l’année suivante de semer les graines issues de sa récolte, on parle de semences de ferme.

Le terme « semences paysannes » regroupe lui à la fois les « semences de ferme » ainsi que des semences de variétés non inscrites au catalogue européen.

Aujourd’hui, les semences paysannes font polémique car l’industrie semencière et la législation Européenne veulent limiter voire interdire le libre échange des graines entre producteur, la liberté de stocker et d’utiliser ces graines. L’esprit des lois actuelles tend à obliger les paysans de passer par des semenciers industriels par de multiples stratégies.

Rappelons que stocker ses semences demande un travail supplémentaire de la part des paysans, que ça nécessite de la place (on parle de tonnes) et un savoir-faire pour ne pas risquer de perdre une récolte entière. Peu de paysans s’y risquent, seule une poignée de passionnés se lancent dans cette aventure. Autrement dit,  les groupes de l’industrie semencière s’acharnent à imposer des lois qui concernent 10% des paysans du milieu agricole.

A l’échelle de l’EUROPE

Le parlement européen va prochainement voter un paquet législatif sur la commercialisation des semences, la santé des animaux, les plantes, ainsi que les contrôles sur la chaîne alimentaire.

En première lecture, ces textes permettraient la reconnaissance du droit des paysans d’échanger leurs semences ainsi que de commercialiser des semences de variétés non enregistrées ou hétérogènes (contrairement à la loi actuelle). Cependant on peut voir par la suite que ces droits sont très limités.

En effet, dans ses propositions, le parlement vise à :

– généraliser les plantes et les variétés brevetées, soit un risque d’interdiction totale des semences de ferme ainsi qu’une contamination de toutes les semences paysannes (Ces dernières n’étant pas prises en compte car interdites)

– instaurer des normes strictes de production et de commercialisation, qui coûtent cher aux petits producteurs et aux semences biologiques[1]

-interdire indirectement les associations de conservation de biodiversité de diffuser leurs semences. La réglementation étant très lourde, cela rend cette activité hors de portée de ces associations à petits moyens[2]

-les autocontrôles des semences, sous normes officielles visent à déplacer la responsabilité civile vers l’agriculteur. Ces contrôles sont à la charge des paysans, seul celui qui a les moyens de prouver qu’il a pris toutes les précautions nécessaires (équipements et personnels agréés, analyses, audits…) peut dégager sa responsabilité en cas de problèmes sanitaire, phytosanitaire, de biosécurité (comme la contamination OGM). Autrement dit, sous couvert de contrôler des problèmes de l’agriculture moderne, on favorise les semenciers industriels.

Aux Etats Unis, entre 1997 et 2010, Monsanto a intenté 144 procès et a négocié 700 arbitrages pour atteinte à la propriété intellectuelle arguant que ses semences Génétiquement Modifiées étaient cultivées sans payer de redevances. Une bonne partie de ces procès visent des paysans dont les terres ont été contaminées par la diffusion depuis les champs voisins. Des agriculteurs victimes des modifications des gènes de la multinationale se retrouvent coupables et sévèrement condamnés[3].

A l’échelle de la FRANCE

La loi de Certificat d’Obtentions Végétales (COV) de 2011 rend possible la pratique de semence de fermes pour 21 espèces (et interdit donc toute réutilisation pour les autres espèces que ce soit par semis, échange ou vente) sous réserve pour l’agriculteur de rémunérer l’obtenteur[4] des variétés qu’il utilise…

En ce début 2014, de nombreuses actions pour le droit paysan ont permis d’obtenir de grandes avancées pour les semences de fermes :

– inscription dans la loi que « l’utilisation de semences de ferme ne constitue pas une contrefaçon »

– engagement du gouvernement de « présenter un amendement afin que les semences de ferme ne soient plus concernées par la loi renforçant la lutte contre la contrefaçon ».

Aujourd’hui un nouveau projet de loi, la Loi pour l’Avenir de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Forêt (LAAF) est en cours d’examination.

Selon la communication des porteurs de cette loi, l’objectif est  d’orienter l’agriculture vers un modèle agro-écologique, permettre un renouvellement des générations et modifier la relation entre agriculture et société.

Le ministre de l’Agriculture, a défini l’agro-écologie comme “un système de production privilégiant l’autonomie des exploitations agricoles et l’amélioration de leur compétitivité en diminuant la consommation d’énergie, d’eau, d’engrais, de produits phytopharmaceutiques et de médicaments vétérinaires”.

Cette définition donne par le concept de « compétitivité » une place prépondérante du monde économique, et fixe un objectif de rentabilité de l’agro-écologie.

On pourrait reconnaître dans une première approche une certaine rupture avec le modèle agro-industriel actuel :

Pour les semences paysannes, l’expérimentation à la ferme est autorisée. Les paysans peuvent produire des semences non inscrites dès lors qu’ils s’inscrivent sur un registre.

Mais une fois que ce référencement est effectué, si on applique le décret européen, cela constituerait une liste de tous les paysans illégaux, ce qui peut leur être fatal. Qui plus est, ils ne peuvent ni vendre leur semence, ni les troquer ni les donner en tant que tel. On empêche donc le partage de savoir et l’enrichissement des expériences.

Conséquences sur la paysannerie

Il semble cohérent de faire confiance au savoir-faire paysan vieux de plusieurs milliers d’années, plutôt qu’aux agro-businessmen qui font la chasse aux primes PAC* et jouent aux chimistes de plein champ. Les conséquences de ces lois existent déjà et se renforcent:

– Création de monopoles qui s’amplifient au cours du temps. 10 multinationales (Monsento, Dupont, Syngenta, Limagrain, Bayer, etc.) ont contrôlé 67 % du marché mondial des semences en 2007 et 73% du marché en 2009.[5]

-Ces monopoles impliquent des uniformisations. Uniformisation des gènes, et donc réduction de la biodiversité mondiale. Quelques dizaines de variétés nourrissent plus de 90% de la planète. Et déjà 80% des variétés d’il y a 50 ans ont disparu.

– Uniformisation des pratiques, entre autre ces multinationales  pratiquent beaucoup la monoculture avec pesticides et forts ajouts d’intrants chimiques. Ce sont les mêmes qui modifient les espèces génétiquement. Cela s’oppose avec une conception réellement écologique de l’agriculture, qui se doit d’être décentralisée et pensée en fonction du lieu et des saisons locales

– Les paysans deviennent totalement dépendants de ces quelques entreprises. On réduit ainsi les possibilités d’explorer des alternatives, et on détruit les possibilités d’avoir les contre-pouvoirs à la base de toute démocratie.

– On pousse à l’expertisation et à l’augmentation du temps de gestion administrative pour les paysans. Il faut maintenant être ingénieur agronome pour gérer des semences, réservant ce domaine à des élites scientifiques.

– Les maladies deviennent plus généralisées et incontrôlables. L’intensification des cultures comme de l’élevage peut entraîner des désastres, comme ce fut le cas avec la vache folle pour les animaux ou le phytophtora pour les aulnes (arbre). Par conséquent si une maladie attaque une variété précise de blé, ce sont des quantités colossales et de très nombreux producteurs touchés, ce qui entraîne d’avantages d’impacts négatifs sur la population mondiale. Si on laissait les agriculteurs développer des variétés très différentes, on éviterait ce problème.

* Pour toute conversion en bio, la PAC verse une prime à l’hectare. De là certains abus ont été constatés : des gros propriétaires qui  passaient 100ha en reconversion bio, et touchaient pour cela des primes pendant 2 ans. Ensuite ils refaisaient de l’intensif dessus pendant 2 ans, pour pouvoir repasser en reconversion pendant encore 2 ans. Alternant ainsi deux passerelles de 100Ha, cela leur permet de toucher continuellement les primes.

[1] A cause d’un matériel spécifique onéreux (mini-batteuses, trieuse à spirale…), un protocole de culture et de suivi stricts, des échantillons d’analyses qui coûtent.

[2]Se référer au procès de Kokopelli : https://kokopelli-semences.fr/juridique/proces_perdu

[3]Depuis 2013, Monsanto ne peut plus poursuivre les agriculteurs contaminés … à moins de 1% de semences OGM. http://www.infogm.org/spip.php?article5497

[4] celui qui a produit par hasard ou par sélection volontaire une semence de « variété nouvelle »

[5]http://www.alternativesante.com/capsulesante/nouvelles/nouvelles.asp?Nopetitesnouvelles=1&NoCapsules=1508

 

Pour télécharger le tract mis en page, pdf: Tract 32, les semences paysannes, les graines de la colère

Word: tract 32: LES SEMENCES PAYSANNES, les graines de la colère

 

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