Une histoire du 11 septembre

Salvador Allende a été élu président de la république du Chili en 1970. C’était le candidat du parti socialiste.

Dans le contexte chilien de l’époque, le parti socialiste était un parti marxiste de lutte, ancré dans les milieux prolétaires. Allende, dans ses discours officiels, parlait de conscience révolutionnaire du peuple et de lutte des classes. Son élection représentait une véritable rupture, un véritable choix d’orientation,

Le Chili était confronté à de graves problèmes structuraux : malnutrition, accès à la terre pour les paysans, ingérence dans les affaires du pays par les compagnies étrangères, monopoles dans la grande distribution, concentration des richesses issues des ressources minières …

En effet, depuis l’indépendance du pays, la bourgeoisie chilienne avait vendu ou louait les ressources minières et naturelles à des investisseurs étrangers – principalement du Royaume-Uni puis des Etats-Unis. Elle s’assurait ainsi des revenus confortables, en offrant à bas prix un tiers des réserves mondiales de cuivre, ainsi que de l’or, de l’argent, du nitrate ou encore du souffre.

D’autre part, l’organisation de la terre en grands domaines agricoles en monoculture, destinée en grande partie à l’exportation, limitait fortement l’agriculture vivrière.

Comme de nombreux pays d’Amérique latine, bien que disposant de terres fertiles, le Chili devait importer une grande part de sa nourriture.

Le premier combat mené par le gouvernement Allende a donc été la réforme agraire. Pour remettre sur pied une agriculture vivrière, les terres cultivables abandonnées, mal cultivées ou de plus de 80 hectares ont pu être expropriées (contre indemnité) et redistribuées aux paysans. Une autre des mesures majeures a été la nationalisation de l’industrie du cuivre, pour éviter la fuite des capitaux et des ressources en dehors du pays.

Contrairement à ce qu’ont répétés les médias libéraux, au premier rang desquelles le journal El Mercurio, le pays n’allait pas vers une dictature de type URSS. La liberté de presse a toujours été respectée, il n’y avait pas de police secrète, les frontières étaient ouvertes, l’Etat n’avait pas le monopole des opérations économiques…

Le socialisme d’Allende offrait donc une alternative à l’état libéral tout en s’inscrivant dans un processus démocratique et c’est à ce titre qu’il a été détruit.

Dans un contexte de guerre froide, les Etats-Unis ne pouvaient supporter de voir un deuxième pays (après Cuba) sortant de leur influence dans LEUR Amérique du sud. Le diplomate Henry Kissinger déclara ainsi : « Je ne vois pas pourquoi nous regarderions sans broncher un pays devenir communiste par suite de l’irresponsabilité de son peuple ». De plus, les nationalisations représentaient pour les multinationales, comme Anaconda et ITT, des manques à gagner gigantesques. Les Etats-Unis ont donc soutenu les opposants d’Allende dès le début de la campagne présidentielle.

Les autres perdants étaient bien sûr les grands propriétaires chiliens, qui perdaient une partie de leur revenus mais surtout leur pouvoir absolu et jusqu’alors incontesté. Agitant le spectre d’un état totalitaire, ils ont cherché à effrayer le peuple. Ne parvenant pas à gagner par les voies législatives et électorales, ils entament une véritable guerre civile économique. Ils financent des sabotages de routes, d’usines, de machines et des assassinats.

Ces tentatives ont fortement ébranlé le pays mais elles ont échouées : trois ans après leur élection, les socialistes remportent les élections législatives. Pire encore, pour assurer la survie économique du pays, une multitudes de petites organisations locales se créent ou se développent pour distribuer de la nourriture, pour gérer la production des usines, pour les transports, pour cultiver les terres… Ces expériences autogestionaires, voulues et dirigées par la base, dépassaient largement l’action du gouvernement.

Dans un pays en plein déchirement entre opposants et partisans du régime, Allende prend la décision de nommer le général Augusto Pinochet commandant en chef de l’armée chilienne pour rétablir l’ordre. Ce dernier rejoindra le complot organisé par le commandant en chef de la marine, et le commandant en chef de l’armée de l’air. Ce complot regroupait des membres de l’armée soutenu fiancièrement par les opposants au régime.

Le 11 septembre 1973, l’armée passe à l’attaque, bombarde le palais présidentiel et prend le contrôle du pays. Le général Augusto Pinochet devient dictateur et rétabli l’ordre : plus de liberté de presse, des exécutions et des tortures en masse des opposants. Ce que la droite chilienne prétendait craindre, elle l’a organisé consciemment pour son propre bénéfice.

Le Chili deviendra un laboratoire d’essai pour les politiques ultralibérales : les théories de Milton Friedman seront appliquées par les Chicago Boys. Les années de dictature ont écrasé les revendications de justice et rendu généralisé l’abus de pouvoir. Le retour à la démocratie est organisé à l’aide d’une constitution qui verrouille et empêche toute réforme profonde.

Une coalition, incluant des socialistes, est élue au pouvoir en 1989. Mais ce sont cette fois des socialistes « modernes », soucieux des problématiques de modernisation et de mondialisation. Ils ont maintenu et amplifié les politiques de privatisation. Aujourd’hui au Chili tout se vend : la santé, l’éducation, les ressources naturelles. C’est le pays où l’on fait exploser des glaciers pour chercher de l’or et où l’on rempli l’océan d’antibiotiques pour cultiver des saumons.

Le dynamisme économique et la croissance chilienne sont cités en exemple pour l’Amérique latine. En parallèle, c’est aussi un champion en termes d’inégalités et d’injustices. Le résultat de ce laboratoire ultralibéral est clair : pour accéder à la croissance, il faut en payer le prix.

Allende, homme parfait ? Le socialisme d’Allende, système idéal ? Surement pas. Mais dans l’histoire, certains perdent et d’autres gagnent. Le mot de la fin est laissé à un expert sur la question :

« La lutte des classes n’existe pas » – Augusto Pinochet

 

Soucres et inspirations :

La spirale – Armand Mattelart

Los tangolpenados – Mauricio Redolés

Les veines ouvertes de l’Amérique latine – Eduardo Galeano

Essai sur le Chili – Vicente Pérez Rosales

Version distribuée: Tract 27 11 septembre Chili

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