Piraterie en Somalie

De quoi parle-t-on ?

Le nombre de navires attaqués par les pirates dans la corne de l’Afrique a été multiplié par presque 12 entre 2005 et 2011 pour passer à 237 actes par an[1], puis a été divisé par 3 en 2012. La Somalie est un lieu sans droit, déchiré par la guerre civile depuis 1991.

Du manichéisme dépolitisant :

« Les barbares ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

Dans l’histoire souvent, il y a des méchant qui font peur aux gentils, tout propres et bien polis. […]

Les méchants baillaient la nuit sous les étoiles,

Cap sur la liberté en hissant la grand-voile,

Les gentils eux donnaient dans la traite des noirs,

Ils nous enrichissaient et faisaient notre gloire. »[2]

L’idée n’est pas de défendre les pirates, mais de rompre avec une vision manichéenne, et d’aller au-delà de la mode médiatique du moment. Il faut revenir au contexte, aux enjeux qui font qu’on s’intéresse tout d’un coup à ce pays. La Somalie est en guerre civile et sans Etat depuis 1991, les casques bleus de l’ONU se sont retirés en 1995. Curieusement, on reprend la « guerre humanitaire » lorsque les intérêts des pays du Nord sont touchés. Cela n’est qu’alors que l’on veut endiguer « les méchants pirates », en partie affiliés à des groupes islamistes. Avant cela la guerre civile en Somalie avait bien contribué aux intérêts des pays occidentaux. Voici quelques exemples de ce qu’il est possible de faire en Somalie :

Pouvoir continuer sans soucis la surpêche : « Les chaluts [asiatiques, mais aussi Français, Espagnol,…] viennent, pêchent en une nuit ce que les locaux attrapent en un an, et s’en retournent chez eux. »[3]. Cette activité, totalement illégale, épuise les fonds marins. Les petits pêcheurs locaux sur la côte perdent leur source de revenu et leur seul moyen de survie.

-Profiter des plateformes pétrolières : « Au Puntland (en conflit avec le Somaliland) dont les réserves en pétrole sont estimées à 4 milliards de barils sur lesquels British Petroleum a des ambitions, les Britanniques ont installé une marine privée, Typhon, le « Backwater » des mers, financée par Simon Murray ancien légionnaire en France[…]»[4] Ici comme ailleurs, on utilise la force pour maintenir ses intérêts et exploiter les ressources.

-Se débarrasser des déchets de la société de consommation : En Europe, chaque année 2,6 milliards de tonnes de déchets sont produits, dont 90 millions sont classés toxiques. “Dans près de 19 % des inspections réalisées dans les transports, les inspecteurs ont constaté des transferts illégaux de déchets”. Une partie non négligeable concerne des exportations de déchets dangereux[5]. « Déverser une tonne de déchets toxiques le long des côtes somaliennes ne coûte que 2,50 dollars. C’est la décharge la moins chère du monde [6] ». A titre d’exemple, en 1995 une société de services italienne débarrassait les entreprises de leurs déchets toxiques pour 100 dollars la tonne, soit 5 à 10 fois moins cher qu’en respectant les normes européennes. On a retrouvé tout type de déchets en Somalie, y compris radioactifs. Ainsi, une vague de mutations génétiques importantes a eu lieu. Les enfants sont les plus touchés, car plus fragiles aux déchets toxiques.

Depuis 2008 les pirates s’attaquent de plus en plus fréquemment aux yachts (cas de la France) et aux cargaisons sensibles : prises des chimiquiers de Hongkong et des Philippines, pétroliers italiens et japonais… L’OTAN choisi alors d’envoyer les forces armées, avec la volonté affichée d’installer un « Etat stable », entendre « au service des intérêts occidentaux ». Le pays suscite l’intérêt de la Banque Mondiale[7], dont les aides se font toujours sous l’obligation du pays à « s’ouvrir au marché », de  libéraliser le pays au maximum, c’est-à-dire diminuer le rôle de l’Etat et privatiser les services publics.

Pirate : un businessman comme un autre ?

Comment peut-on s’étonner, dans la misère où se trouve la Somalie, que la piraterie se développe ? Le crime rapporte bien plus que rester avec sa canne à pêche devant une mer vidée « pour un investissement de 15 000 dollars, une prise d’otage peut rapporter dans ces régions jusqu’à 3 millions.» Quelle différence existe-t-il entre les pirates somaliens, et les businessmen de la mort qui entretiennent les conflits, tels British Petroleum et ses actionnaires ? Pirates et actionnaires cherchent à gagner de l’argent, et tous sont prêts à tuer pour cela. En revanche, “à ce jour, aucun des industriels soupçonnés de déverser des déchets toxiques sur les côtes d’Afrique de l’est n’a été inquiété[8], les actionnaires de BP ne seront pas inquiétés par la justice internationale, les chalutiers industriels ne seront pas arrêtés ni détruits par les destroyers US. Ces navires de guerre protègent le pillage en règle mené par les « gentilles » entreprises occidentales mais pourchassent les « méchants » pirates somaliens. Moral ? Non, mais rentable.


[1] Il faut faire attention à ce chiffre du Bureau Maritime Internationale, on estime que 30% des attaques ne sont pas recensés.

[2] Compagnie Jolie Môme, Les pirates, Parole de mutin

[3] Grandsreporters.com, Somalie : Les nouveaux pirates, Jean-Christophe Brisard pour le National Geographic

[4] Atlasalternatif.over-blog.com,  3 mai 2013, « Somalie : La mainmise britannique se poursuit »

[5] Etude de la commission européenne le 01/02/2010

[6]  Coût moyen du transport des déchets occidentaux avant d’être jeté au large de la Somalie. La Somalie, d’un chaos à l’autre – Toxic Somalia, Paul Moreira, 05/2011, arte.TV.fr

[7] « Pour mettre fin à la piraterie somalienne, il faut s’attaquer au système, pas seulement aux pirates », 11 avril 2013, banquemondiale.org.

[8] La Somalie, d’un chaos à l’autre – Toxic Somalia, Un film de Paul Moreira, 05/2011, arte.TV.fr
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=> Tract distribué plié sous forme de bateau. Version originale:tract 25 piraterie en somalie
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