Pour une réappropriation des domaines de connaissances
Il semble aujourd’hui difficile de s’opposer à LA Recherche. Toute critique de cette dernière se verra renvoyer l’argument des fruits déjà existants de la Recherche (toutes les technologies dont on dépend aujourd’hui) et celui des prouesses que potentiellement la Recherche scientifique nous réserve à l’avenir. Ces deux arguments tirent leur légitimité de la soi-disant « neutralité de la science ». Ce qui passe pour une vérité fait pourtant appel à la sensibilité et à la morale : le fait d’évoquer tous les enfants malades que la recherche médicale a permis de soigner est plus une tentative de persuasion qu’un argument scientifique.
La croyance en la neutralité permet de transformer des problématiques d’ordre politique (ayant trait à l’organisation sociale donc critiquable) en problématiques d’ordre moral. En acceptant que la Recherche puisse être neutre, on perd tout moyen de la remettre en question, elle ou ses conclusions.
Critique de la neutralité :
Différents éléments nous permettent de remettre en question la neutralité de la science (et de la Recherche) : la démarche dite scientifique consistant le plus souvent à morceler un problème en de multiples problèmes isolés plutôt que de le penser dans sa complexité (1) ; la spécialisation (biologie, mathématiques, sociologie…) qui précède et résulte de la démarche scientifique ; la formation des scientifiques et les objets de recherches, influencés par le contexte politico-économique et donc par les promoteurs et financeurs de certaines visions de la science, de la technique et de la recherche ; le filtre d’analyse personnel en raison duquel pour un même phénomène deux scientifiques peuvent avoir deux interprétations différentes.
Les recherches aujourd’hui :
Engluées dans une logique entropique (2), elles sont moins indépendantes que jamais. Au service de l’innovation, quelle qu’elle soit tant qu’elle est rentable, les recherches actuelles sont de plus en plus coûteuses, ce qui accélère d’autant leur intégration dans l’économie de marché qui seule peut créer les déséquilibres financiers nécessaires à leur financement. La Recherche se repose sur le mythe du progrès : toute découverte améliorerait notre quotidien, tôt ou tard.
Ce que nous entendons par la suppression de LA Recherche :
Nous réfutons l’idée selon laquelle la « Connaissance » (celle de l’humanité) ne ferait que grandir à mesure que la Recherche « avance » : certaines connaissances se perdent ou sont moins approfondies (anthropologie, politique, agriculture paysanne…) quand des connaissances techniques et industrielles prennent de plus en plus de place, concentrent de plus en plus les moyens alloués aux recherches. Un choix politique dans l’orientation de la Recherche est effectuée par les financeurs (Etats, entreprises, banques, actionnaires).
Ainsi ce que nous remettons en cause c’est la finalité de la Recherche actuelle, que ce soit : la rentabilité, la multiplication des activités militaires, le développement d’un contrôle social (fichage internet, ADN, prévention situationnelle en urbanisme, etc.) ou simplement le développement technologique perpétuel.
On opposera à ce positionnement que la Recherche n’est qu’un outil indépendant de la manière dont on l’utilise. En attendant, toute nouvelle trouvaille fournit du pouvoir à celleux qui la brevettent, qui ont les moyens de l’utiliser ou savent se l’approprier.
Des exemples pour contredire l’hypothèse de « l’outil indépendant » :
– De nouveaux antibiotiques développés dans une entreprise soumise à l’industrie pharmaceutique peuvent créer de nouvelles maladies, parfois plus dangereuses que celles que l’on cherchait à soigner. (3)
– Les recherches en neurobiologies influence directement le traitement judiciaire de certaines personnes criminelles (occultant bien souvent les parts de construit social ou psychologique impliquées dans les mêmes affaires).
Réappropriation de la connaissance, qu’est ce qu’on veut ?
On l’a vu, la connaissance est multiple et ce qui a été compartimenté doit être retissé ensemble, « recomplexifié », afin de lutter contre la décontextualisation des recherches, contre leur neutralisation et leur dépolitisation. Car le politique appartient au peuple quand le « neutre » appartient au scientifique sans conscience. Pour cela, reconnectons les recherches à leurs applications, motivons-les par les besoins du peuple et non plus par ceux du système militaro-économique qui en est actuellement le principal bénéficiaire. Une réappropriation individuelle de la connaissance semble impossible mais collectivement nous pouvons élargir ses champs et enrichir un réseau de recherches parallèles à LA Recherche. D’autres sociétés sont possibles !
(1) Introduction à la pensée complexe, Edgar Morin.
(2) Transposition de la 2ème loi de la thermodynamique à l’activité humaine : « dans un système clos, l’énergie transformable en énergie mécanique ne peut que diminuer, le désordre de peut qu’augmenter » en d’autres termes la croissance infinie est illusoire, les ressources naturelles ne peuvent que s’épuiser dans le système actuel.
(3) Un médecin reçoit 3 représentants de l’industrie pharmaceutique par jour en guise de « formation continue ». Pourquoi j’ai quitté l’industrie pharmaceutique, Norma Fidel, 2008.
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