Ce petit texte fait suite d’une visite du salon de l’IBS (Intelligent Building System) qui s’est déroulé à Paris. Ce salon se veut être une plateforme de rencontre dédiée aux systèmes intelligents pour la performance des bâtiments, autrement dit la domotique. L’ambiance est donnée dès la première page du site web : « La question n’est plus de savoir « Combien ça coûte ? » mais… « Combien ça rapporte ? » »[1]
L’alibi de la réduction de l’impact écologique comme production de capital
Pendant toute la durée du salon, un des principaux arguments (avec celui du confort) en faveur de la domotique concerne la réduction des consommations du bâtiment. Pourtant, ces calculs d’économies d’énergies se focalisent uniquement sur les consommations électriques ou de chauffage sans tenir compte des consommations de l’équipement électrique ajouté (détecteurs, automates…), et encore moins de leur mode de production et des matériaux de fabrication. Alors comment comparer cette réduction des consommations et l’augmentation de l’utilisation de matériaux rares de fabrication ? Plus simplement, il serait aussi efficace de réfléchir sur le bâtiment en lui-même et sur nos modes de vies au sein de celui-ci (pourquoi chaque habitation comporte son propre lave linge ?).
Les intervenants du salon de l’IBS écartent toutes existences d’inégalités entre les classes sociales, et donc d’accès aux nouvelles technologies. Loger en appartement HLM n’apporte pas les mêmes problématiques de consommation qu’habiter une maison luxueuse (écologique ou non). L’alibi écologique dont se sert la domotique est ainsi une justification supplémentaire pour ne pas remettre en cause notre mode de vie.
Nous vivons dans un système capitaliste qui a pour base la croissance économique. La technique en elle-même n’est ni bonne ni mauvaise, il faut juste analyser son utilisation réelle au sein de ce système. En démocratisant la domotique, d’ailleurs prévue principalement pour les riches, nous nous créons de nouveaux besoins donc de nouvelles consommations, contrecarrant la baisse de la consommation engendrée par la technologie. Pour reprendre les termes d’un conférencier : « En domotique, les systèmes de sécurité génèrent énormément d’opportunités » (= de capital). Cette phrase est révélatrice quant-à l’intention, non pas d’avoir une activité écologiquement ou socialement bénéfique, mais de profiter d’un nouveau marché dans un objectif de profit.
Société contrôlée, société libérée ?
La technologie, telle que conçue par la domotique, favorise un fort contrôle social de par son influence sur nos actions. La technique pensée en amont par des experts nous dépossède de toute réflexion sur notre confort et nos activités. Plus l’environnement humain est technique, moins sa capacité à comprendre et à maitriser ce qui l’entoure est importante. Le contrôle et la standardisation du confort impose un certain mode de vie à partir de normes définies à l’avance.
La domotique nous dictera donc ce qui est confortable pour nous. Si aujourd’hui nous modelons nos besoins à coup de propagande venant de divers horizons (publicité, médias, école…), demain la domotique nous énoncera nos besoins. A l’image du frigo intelligent qui passera commande au supermarché pour nous, la domotique veut externaliser notre pensée et rendre la société de la consommation accessible sans aucune démarche personnelle (plus besoin de faire ses courses, les Pom-Potes arrivent déjà par paquets de 8).
Mais non, la domotique n’est pas que de la normalisation me direz-vous, la preuve est qu’elle veut s’adapter à chaque individu ! C’est en tout cas ce que le titre d’une autre conférence voulait nous dire : « La clé pour maitriser le facteur humain c’est l’individualisation ». Mais cette « individualisation » a en fait pour but final d’estimer la marge de liberté individuelle dans ce système normatif pour mieux la contrôler et ainsi limiter le nombre d’individus s’échappant de ce système. Même sous cet angle, la domotique poursuivra la dynamique actuelle de création de besoins qu’elle marchandisera ensuite, réduisant notre individualité à des données statistiques et normatives.
Pour revenir au salon, voici les dires d’un autre conférencier : « Cette application, reliée à la domotique, permet de savoir en temps réel quelle salle de réunion est disponible mais aussi le parcours exacte pour s’y rendre ». Là, c’est le summum de l’absurdité et du délire technocrate. Encore une fois, on nous infantilise et on nous dépossède de nos capacités intellectuelles en cassant nos marges de libertés par la prédiction à outrance. De plus, elle est potentiellement dangereuse : cette technologie accompagnée de ses diverses caméras et capteurs permettrait de connaître en temps réel qui occupe son poste ou non, de contrôler le temps que les employé.e.s passent à leur bureau… Encore un nouveau moyen de renforcer la domination de l’employeur.
« Votre confort ? Notre priorité ! »
Aussi, la technologie fait partie des instruments qui nous influencent dans notre façon de penser et de ressentir le monde. Si nous vivons dans la peur de notre voisin, ce n’est pas parce qu’il est pire que celui du siècle dernier, mais parce qu’une méfiance s’est construite à travers le spectacle publicitaire et social.
« La sécurité doit-être fille de la liberté, et non l’inverse ». Tommy, AG du Genepi 2014
La dépossession de nos vies par l’expert (nous, futurs ingénieurs)
La domotique fait partie des technologies qui imposent de faire appel à tout un tas d’experts et de spécialistes. Chacun est expert dans son domaine : nous déléguons ainsi toutes les décisions qui sont externes à nos spécialisations, qu’elles soient importantes ou non, réduisant par cela nos possibilités de se réapproprier et d’aménager nos propres lieux de vie ou de travail.
Evidemment, cette critique de la domotique est indissociable de réflexions plus globales à propos de nos choix de société : répartition des pouvoirs de décisions, consumérisme… Nous n’avons que le choix individuel de consommer ou non un produit, devant le fait accompli de son déploiement dans la société. Notre seule liberté est de se mettre à la traîne du progrès, mais en subissant tout de même les contrecoups et dangers. A aucun moment nous n’avons de choix collectif pour décider de ce qui est désirable ou non pour la société dans son ensemble, et non pour un individu ou un groupe d’individus donnés. Plus la technologie est élevée, complexe et centralisée, moins le choix est social et libre.
Pour autant, doit-on abandonner toutes recherches d’amélioration technique ? Pas si celle-ci se place d’abord dans une recherche de transformation sociale.
[1] http://www.ibs-event.com/
Tract téléchargeable mis en page : version modifiable Tract 48 Totalitarisme mathématique VF
Version PDF: Tract 48 Totalitarisme mathématique