Vous allez le voir, ce tract alterne passages argumentés et passages poétiques en vers, sans liens explicites entre chaque. Cet aspect fragmentaire est volontaire, il a pour but de libérer l’imagination et les alternatives politiques et sociales. Keskekoi !? Ce tract prend sa source dans l’idée qu’avant de comprendre, nous avons tous besoin de croire. Croire en un dieu, croire en la science, croire en l’économie de marché, croire en la démocratie, croire. Et la croyance, dont on ne fait en aucun cas le procès dans ce tract, se doit pourtant d’être conscientisée pour ne pas être dogmatique. Aujourd’hui, le fonctionnement économique capitaliste et le système politique partisaniste sont forts de la croyance de nombreuses personnes en eux, mais savons nous encore interroger ces systèmes ? Arrivons-nous à penser en-dehors de ces « dogmes » ? A cette dernière question je voudrais que nous puissions répondre « oui », d’où ma volonté de libérer l’imagination et les alternatives politiques et sociales, de surprendre par une forme non scientifique, à l’incomplétude affichée. Car c’est aussi l’un des défauts de notre société actuelle du « tout tout de suite », elle nous fait croire en l’existence de vérités absolues, indiscutables, objectives, qui soient accessible à l’homme et à la femme. Pourtant les « piliers » de notre société sont loin de correspondre à cette description, à l’image de nos médias (de masse), touche-à-tout et superficiels, de notre éducation, compartimentée en domaines étanches (scientifique, politique, artistique, social, historique), de notre rapport au temps, en perpétuelle accélération, morcelé. Ainsi, avant de comprendre le vivant dans son entièreté, c’est-à-dire en considérant toutes ses composantes simultanément (biologique, mécanique, sociale, psychologique…), nous choisissons bien souvent de privilégier une grille de lecture crédible dans notre environnement. Pour parler de l’évolution par exemple, des écoles aux Etats-Unis s’appuieront sur les théories créationnistes, d’autres en France utiliseront Darwin, on pourrait imaginer en faire de même en se basant sur les travaux de Strauss ou de Marx.
Mais ceci n’est qu’une introduction qui présente la démarche de ce tract, et ne compte pas réviser l’ensemble des théories humaines. Elle permet au contraire de présenter les pages qui suivent comme lacunaires, discutables, morcelées, subjectives (comme tout savoir produit par la femme ou l’homme d’ailleurs). Ce tract est une invitation au dialogue et au rêve d’un autre monde.
Lis !
Lis et dis-leur que le monde est en train de brûler
Parle-leur des villes
verticales
bâties sur un état de droit pâle
écroulé
Parle-leur des multinationales
des tapis rouges des marchandises
et de l’humanité en exil
Lis et raconte le gaspillage et la famine
les vautours de l’agriculture :
aux mauvais hommes les bonnes mines
Et raconte les paysans qui se serrent la ceinture
Demande-leur ce qu’ils comptent faire
Confronte-les aux questions qu’ils évitent
Dis-leur que l’acceptation c’est l’enfer
et que c’est d’un enfer qu’ils héritent
la solution c’est les autres
parce que notre bateau
c’est la société, et elle coule
Ca aussi il faut leur dire !
déjà plus qu’un radeau…
le huis clos c’est notre égo.
Mais lis ne t’arrête pas !
Lis-leur un extrait de leur vie de riche
Et fais-les pleurer si tu y arrives
Puis joue-leur une vie riche
Et fais-les jouer dans leur dérive
Et lis
Lis,
parce qu’ils ne m’écouteront pas
parce que pour eux je suis une méduse :
quatre-vingt-dix-huit pourcent d’eau
qu’ils voudraient faire passer sous les ponts
mais qui s’y arrête dormir
et des brûlures.
La division entre la droite et la gauche est-elle adroite ?
Aujourd’hui, l’économie semble précéder la politique, à tel point que les discussions sur le modèle économique sont devenues marginales, c’est-à-dire rarissimes voire sources de stigmatisation. La crise économique notamment, a fabriqué l’illusion du consensus selon lequel tous les « enfants de la France » doivent travailler ensemble pour que le pays s’en sorte. Celui ou celle qui n’est pas d’accord est un tire-au-flanc. On ne peut ainsi plus parler de lutte des classes, puisque nous sommes tous unis dans un effort commun. Cet effort commun, c’est le néo-libéralisme qui nous y a conduit tout en remplissant les poches des nouveaux aristocrates et il est pratiqué aussi bien par la droite que par la gauche. Le clivage droite-gauche ne sert qu’à différencier deux pans de la population sur la question du mariage homosexuel. En aucun cas il ne permet de questionner le sens des mots tels que « libéralisme » ou « socialisme ». L’élitisme économique (fait que seuls les économistes seraient légitimes pour parler d’économie) relayé par l’élite politique (leaders politiques élu.e.s pour penser la politique à notre place) provoque le désengagement politique des citoyens, puis leur désenchantement (politique toujours), pour aboutir bien souvent à un antipolitisme primaire (« tous des pourris ! ») dont les médias font leurs choux gras. Le clivage droite-gauche, manifestement en panne d’imagination, nous pousse à la résignation et les comportements antipolitiques qui se développent sur fond de fatalisme assurent la victoire des nouveaux aristocrates.
Mais l’économie n’est pas seule responsable, la confusion des partis a aussi pu s’installer grâce au combat sémantique qui s’est déroulé silencieusement ces dernières décennies. Des termes comme « communisme », « anarchie », « écologie » ont été soit entachés des préjugés soit détournés, récupérés au profit de nouvelles terminologies libérales. Ainsi, le communisme est aujourd’hui automatiquement associé au Stalinisme ou au régime nord-coréen, l’anarchie est utilisée pour parler d’anomie et l’écologie est associée au développement durable. Alors que le caractère totalitaire d’une pensée économique unique passe complètement inaperçu, les altermondialistes deviennent ou bien des hippies qui veulent changer le monde avec des fleurs, ou bien des révolutionnaires sanguinaires cocktail Molotov en main. Dérangeant, le Front National semble réussir ces temps-ci à voler aux autres alternatives le drapeau de la protestation anti UMPS, s’extrayant du marginalisme politique en surfant sur la vague de l’isolement, de l’exclusion, de la haine. Mais que sont devenus les trotskistes de l’époque où le communisme faisait encore 20% aux élections nationales ? Où sont passées les idées des étudiants de mai 68 ? Depuis quand les brasseries, les pelouses, les universités ne sont plus des lieux de débats, des lieux de vie sociale et politique ?
Copenhague
On l’a fait
notre monde de perfection
dans quelques années les grues seront toutes parties
et la ville ne sera plus qu’une photographie
une carte postale prétentieuse
qui se prend pour de l’Art
parce que certains voient
dans les feuilles des maigres arbres
et les éclats de l’eau clair
la patte d’un impressionniste
parce que d’autres s’imaginent
vivre dans ces buildings
comme dans un Picasso.
Mais la vérité
ne se laisse pas voir comme un tableau dans
un musée
la vérité se cache
derrière des ares de tags politiquement corrects
derrière des oies qui se promènent comme des canards
derrière des rêves de campus à l’américaine…
Oui une mèche de cheveux mauve
sur un crâne rasé
oui une parcelle d’utopie pour
les rêveurs
de la poussière bien à sa place
sur des chaussures de ville
et des talons de quinze centimètres aux commandes
d’un vélo-remorque
oui le camion de bières qui flâne dans les rues
oui l’abolition de l’urgence
le dub électro, le no hard drugs, le végétarisme. Pourtant.
Pourtant un joli mur de brique
détruit, déconstruit même
pourtant des segways énergivores
jurant fort dans le décor
comme le tonnerre réclamant la foudre
pourtant des joggeurs
un cardio à la place du cœur.
La vérité c’est que l’ambition a déserté la ville
la seule vision qu’il lui reste
Copenhague la garde au fond d’un miroir.
La vérité attend l’ambition de sa découverte.
Et que font les enfants rois ?
Ils grandissent. Les rois sont morts
vive les rois !
Et Christiania ?
Elle prend le large sur son étang
pauvre folle nombriliste
trouillarde
avec juste assez d’air pour que les chiens et les gosses
s’amusent.
Voici l’avenir ! etc.
De la résignation à l’indignation
« Être citoyen, ce n’est pas vivre en société, c’est la changer ». Augusto Boal
Résignés. Persuadés de notre impuissance à faire bouger les choses, effrayés à l’idée d’être marginalisés par une société morale (voire moralisatrice) et non éthique ou politique, nous nous résignons à son fonctionnement. Certes, les luttes existent à l’instar de la ZAD de Notre-dame-des-landes ou de la zone humide du Testet, de la ferme des mille vaches ou du tunnel Lyon-Turin, mais rien de comparable (médiatiquement en tous cas) avec la mobilisation des manifs pour tous. On passe davantage de temps à suivre l’évolution de la cote de popularité de Manuel Valls qu’à essayer de comprendre ce que cache le TAFTA. Nous sommes trop occupés à étudier, travailler, faire fonctionner la machine économique avant qu’elle ne s’écroule sur nous (comme en 2008) ou qu’elle ne nous roule dessus (comme elle le fait déjà avec les intérimaires, chômeurs, smicards, intermittents, etc). La société a son image de la bonne famille, elle a aussi son image du bon citoyen : il travaille, il produit de la richesse économique ; l’économie s’occupe du social. Les chômeurs, retraités, handicapés deviennent des parasites dont on cherche à négocier les droits à la baisse sous la pression des honnêtes travailleurs qui œuvrent à un monde meilleur. Après tout, à quoi bon protester pour protester ? C’est perdu d’avance, non ?
Non. Parce que nous avons encore le droit de dire non. Parce que le conflit n’est pas la guerre, il est nourrissant politiquement, idéologiquement. Parce qu’Hitler a été élu par les urnes. Parce que le silence nous isole encore plus et que s’indigner c’est déjà s’exprimer.
Bobby
Bobby est un pantin.
Il vit à Paris
prend le métro tous les matins.
Bobby voit sa vie
défiler
mais Bobby ne voit pas les fils
de sa vie
Bobby est un pantin
mais Bobby nie :
pas le pantin de l’Eglise
pas le pantin con des Portes
le pantin du CAC
des banques
le pantin des fidumaniacs
en manque
mais Bobby ne voit pas les fils
de la Bourse,
sans Défense
Bobby s’égare
du Nord.
De l’indignation à la révolte
S’indigner haut et fort c’est la solution de facilité ? Marre des anti-touts qui ne proposent rien ? Heureusement, en libérant la parole, nous libérons aussi les idées, nous voyons que nous ne sommes pas seuls et nous créons de nouveaux champs des possibles. S’indigner c’est accepter de prendre la pilule rouge (voir ou revoir Matrix), il n’y a pas de retour possible, c’est sans doute ça qui nous fait peur. Alors une fois que c’est fait, à chacun de choisir son mode d’action, son mode d’expression. Moi j’ai rencontré Malika.
Malika
Si ce n’est toi, Mal
c’est ta poésie qui tombe du ciel
et cent fois elle aurait pu se faire mal
mais toi tu t’excuse pour elle
« Vous est-elle tombé sur la tête ? »
Sans doute oui
j’ai mal à mes lunettes
et je vois le monde avec mes ouïes
quand tu déclames tes vers
au laid milieu des contre tous
un petit morceau d’envers
comme l’ourlet des égos qu’on retrousse.
Version Word téléchargeable: tract 58 Un autre monde est possible (final)
Version PDF: tract 58 Un autre monde est possible