Même à Compiègne, la petite ville tranquille où nous habitons, il y a des clandestins, des personnes qui sont illégalement sur le territoire français. Les sans-papiers sont quotidiennement avec nous : ils travaillent dans les entreprises de nettoyage, ils ramassent nos déchets postés à l’arrière des camions poubelles, ils coulent du béton sur les chantiers que nous voyons…
Pour pouvoir travailler en France, un étranger doit posséder un titre de séjour en règle. Ici comme ailleurs, tout s’achète et les migrants faisaient faire de faux titres, à leur nom. Depuis 2007, la circulaire Sarkozy impose aux employeurs de faire vérifier en préfecture les papiers des travailleurs étrangers avant de signer un contrat de travail.
Pour continuer à travailler, c’est-à-dire à se nourrir, le plus simple est le travail au noir. Cette solution est massivement pratiquée à Paris. Dans l’Oise, le plus courant est d’utiliser un faux nom pour signer un contrat de travail. Dans les deux cas, il est important de comprendre l’hypocrisie de la part des employeurs et de l’état face à ces situations. Ils ont tout à fait connaissance de cette réalité, et ils en profitent, car elle est à leur avantage.
Ce fonctionnement est connu. Du côté des employeurs, certains salariés ont soudainement changé de nom en 2007 en signant leur nouveau CDD. La photo d’identité ne correspond pas non plus, mais tous les noirs se ressemblent, n’est-ce pas ? Du côté de l’état, les contrats de travail signés apportent des recettes car les travailleurs sans-papiers cotisent et paient leurs impôts.
En quoi est-ce avantageux de faire travailler des sans-papiers ? Schématiquement, l’administration ferme les yeux lorsque l’argent entre dans les caisses, mais gronde dès qu’il s’agit d’en sortir. Avec les contrats sous un faux nom, les sans-papiers n’ont aucun droit : pas d’arrêt maladie possible et pas de droit au chômage. En somme, pas de frais pour l’état, uniquement des entrées d’argent.
Pour les entreprises, ces travailleurs ne peuvent pas, avec ces contrats, réclamer d’indemnités en cas d’accident du travail. Cela signifie des économies conséquentes et la possibilité de prendre plus de risques sur les chantiers1. Après un accident, on « découvre » que le travailleur était sans-papier et on le met dehors sans droits. Le statut de travailleur sans papier permet à l’entreprise de faire pression sur celui-ci. Le « clandestin » est constamment poursuivit par la peur d’être arrêté suite à un contrôle aléatoire de la police ou dénoncé.
Sans-issue ?
Comme souvent lors des campagnes présidentielles, le programme du parti socialiste promettait des régularisations au cas par cas. Les circulaires qui ont suivi l’élection ont données un critère simple : il fallait justifier 8 mois de travail au cours des 24 derniers mois.
Dans l’Oise cette exigence est facilement remplie par une bonne partie des sans-papiers, mais malheureusement les fiches de paye ne sont pas à leur nom. En effet la circulaire de 2007 les a forcés à travailler sous une identité d’emprunt. Bien qu’ayant travaillé beaucoup plus que 8 mois, ils ne peuvent donc pas être régularisés ainsi.
Ce n’est pas par humanité que les sans-papiers, dont un très grand nombre sont connus de l’administration, ne sont pas tous expulsés. C’est parce que les expulsions coutent cher : arrestation, centre de rétention, aller-retour pour deux policiers, primes diverses pour ce genre d’opération… Dans ces conditions, le gouvernement préfère laisser sur le territoire des personnes qui sont sources de recettes fiscales.
Du coté des employeurs, il est tout à leur avantage de maintenir un vivier de travailleurs sans droits pour tirer à la baisse les salaires. Ils ont besoin de cette main d’œuvre pour des métiers difficiles : après leur régularisation les sans-papiers mettent la plupart du temps moins d’un mois à se faire embaucher dans l’Oise.
A l’heure ou des dirigeants veulent imposer des leçons de morale au peuple, nous ferions mieux de prendre exemple sur les sans-papiers. Leurs luttes collectives pour obtenir droits et libertés sont des modèles de solidarité. En 2009 ils ont organisé un vaste mouvement de grève nationale rassemblant plusieurs milliers d’entre eux.
Depuis, à Creil, 68 travailleurs sans-papiers occupent en permanence la Bourse du travail pour obtenir leur régularisation. Dans cette lutte, ils ont tout perdu : leurs emplois, leurs logements… Ils tiennent bons depuis plus de trois ans et demi pour obtenir la régularisation des derniers d’entre eux. En parallèle, ils ont été présents et actifs dans la plupart des mouvements pour défendre les droits du travail. Des citoyens que nous pouvons accueillir à bras ouvert !
[1] Le BTP où travaillent beaucoup de sans-papiers est un secteur dangereux :
http://www.inrs.fr/accueil/header/actualites/statistiques-BTP-2011.html
Version téléchargeable: tract 23 sans papiers sans droits